Le paradis des phobies
Le 5 février 2011
Ulrike Ottinger nous plonge dans l’univers de la fête foraine, avec ses monstres et ses sensations fortes, dans ce formidable documentaire atypique consacré au plus ancien et au plus mythique des parcs d’attractions.
- Réalisateur : Ulrike Ottinger
- Acteurs : Veruschka von Lehndorff, Elfriede Jelinek, Elfriede Gerstl
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Allemand, Autrichien
- Plus d'informations : http://www.prater-derfilm.com/
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– Durée : 1h47mn
– Sortie en Allemagne : 6 décembre 2007
Ulrike Ottinger nous plonge dans l’univers de la fête foraine, avec ses monstres et ses sensations fortes, dans ce formidable documentaire atypique consacré au plus ancien et au plus mythique des parcs d’attractions.
L’argument : Une plongée dans l’univers des désirs et des sensations fortes, mêlant l’histoire du plus ancien des parcs d’attractions à des aperçus sur l’évolution des attractions techniques. Le film dresse aussi le portrait des gens pour qui le Prater est un lieu de divertissement, de souvenirs ou tout simplement un lieu de vie. Le pré (pratum) autrefois terrain de chasse de l’empereur, est devenu une aire de jeu pour tout un chacun.
Notre avis : Ulrike Ottinger, auquel le Centre Pompidou a consacré une rétrospective en avril 2010, a tourné son premier film, Laokoon und Söhne, en 1972 et appartient donc à la génération des Fassbinder, Schroeter, Thome, Helma Sanders et tant d’autres qui firent l’exceptionnelle richesse du cinéma allemand de ces années là.
L’oeuvre cinématographique de cette artiste inclassable, qui s’est illustrée aussi dans les domaines de la peinture, de la gravure et de la photographie, a été diffusée essentiellement dans les circuits parallèles, festivals, centres culturels, galeries ou musées. Entre documentaires fleuves tels que Exil Shanghai (4h35mn), en 1997, ou Südost Passage (6 heures), en 2002, et détournements des genres du cinéma populaire comme dans le film de pirates au féminin Madame X, souveraine absolue (1977), ou encore Dorian Gray dans le miroir de la presse à sensation (1983, avec Delphine Seyrig), sa filmographie comprend désormais une bonne vingtaine de titres.
Dans tous ses films, Ottinger ignore superbement les lois du cinéma classique, obsédé par la fluidité narrative et la psychologie, pour renouer avec le cinéma des attractions telles qu’on le pratiquait au début du vingtième siècle.
Ce cinéma était directement lié au monde du cirque et à celui de la fête foraine et il n’est donc pas surprenant que la cinéaste ait fini par prendre comme sujet le Prater viennois, parangon des lieux de plaisir populaire abondamment célébré par la littérature et le cinéma. Ottinger ne manque pas d’ailleurs d’émailler son parcours d’extraits de textes (de Felix Salten à Joseph von Sternberg) et de citations filmiques qui font se côtoyer fictions, comme Merry go round de Stroheim (1923), Pratermizzi (1926, avec Anny Ondra) ou Prater (1936, avec Magda Schneider), et bandes d’actualités allant du début du vingtième siècle aux années soixante.
La totale adéquation du style filmique d’Ottinger, cousine secrète de Tod Browning, avec l’esthétique du spectacle de foire fait de Prater bien plus qu’un simple documentaire, mais peut-être tout simplement LE film qui restitue au mieux la magie mêlée d’effroi que suscite cet univers défiant les lois du bon goût et dont elle définit elle-même fort justement l’essence en utilisant le terme de Angst-Lust (peur-jouissance).
Car le visiteur (et le spectateur) est là pour éprouver des sensations fortes sur le grand huit ou dans le train fantôme, assister stupéfait aux tours de magie ou s’exposer à la confrontation avec l’autre, le monstre, qu’il soit singe géant, automate ou sauvage du village africain, contemplé avec un mélange de fascination et de répulsion, entre trouble de l’identification et rejet violent.
On retrouve bien sur ici les soeurs siamoises, les hermaphrodites et les femmes à barbe déjà présents dans Freak Orlando (1981). Quant à la Barbarella incarnée par Veruschka, moulée dans une combinaison ressemblant à une peau de serpent, elle est tout à fait à sa place dans le monde des terreurs enfantines qu’évoquent admirablement les deux Elfriede (Gerstl et Jelinek) invitées par la cinéaste, l’une prenant le train des lilliputiens et évoquant le Paradis des phobies, l’autre prêtant sa tête à la femme blanche emportée par un avatar de King Kong dans une toile peinte posée devant les arbres.
Car Ulrike Ottinger revendique haut et fort le bricolage artisanal. Il fait merveille dans ce film étonnant et atypique, justement couronné du Prix de la critique allemande en 2007.
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