Critique : Comment raconter une histoire contemporaine de la cinéphilie sans évoquer la formidable épopée de l’édition DVD ? Cette aventure de la maison d’édition Potemkine l’illustre de manière originale et inédite. Elle traduit en témoignage une étude de ce phénomène peut-être désormais dépassé – on en doute - mais qui marquera longtemps cette histoire audiovisuelle. Depuis l’origine du cinématographe, celle-ci s’est sans cesse réinventée. Dans cette histoire plus que centenaire, l’âge d’or de l’édition vidéo – tout particulièrement, celui du DVD - est un épisode fondateur, celui de l’entrée d’un continent de films de cinéma à voir ou à revoir, à explorer et à collectionner. En France, Potemkine représente plus que tout autre cette importance d’un rapport à une certaine cinéphilie, exigeante et à tendance éclectique, voire encyclopédique.

Maxime Lachaud recueille la parole des fondateurs et des compagnons de cette maison d’édition vidéo unique en son genre. Par le récit de cette aventure à la première personne du singulier, puis du pluriel, il fait parler ses propres souvenirs d’« enfant né dans les années 70 et ayant grandi à la campagne dans les années 1980 », ainsi que les témoignages de ceux qui ont cru en leurs rêves en inventant Potemkine (Nils Bouaziz, auquel l’ouvrage est dédié, Benoit Dalle, Pierre Denoits, …) et les cinéastes et créateurs de certains des films édités.

Cette cinéphilie nouvelle, que l’on peut interpréter comme l’expression d’un fétichisme de l’objet, ne se réduit pas à une pratique de collectionneur. Certes, « toutes ces œuvres collectées sur nos étagères témoignent de moments vécus ou à vivre, elles contiennent notre mémoire, passée et future. » Mais Maxime Lachaud donne sa préférence aux collections d’expériences plutôt que d’objets : « pour moi, le travail de Potemkine demeure sans équivalent dans le monde de l’édition de films en France : de véritables objets d’art, conçus avec goût par des innovateurs, créateurs dans leur domaine, à la brillance d’esprit peu commune. » En guise d’indices de ce dépassement au-delà de l’objet DVD, l’éditeur s’est diversifié en devenant libraire, distributeur, organisateur d’évènements… L’ouvrage se situe bien loin de ce fétichisme de la marchandise mis en évidence par Karl Marx, en se fondant sur le recueil des témoignages des personnes interviewées qui se livrent au fil des pages. En outre, le catalogue Potemkine égrené page après page, dévoile une ligne éditoriale aussi ouverte qu’experte, constituée par des passionnés érudits, animés par le désir de transmettre leurs découvertes et partager leurs coups de cœur, leurs émotions, tâtonnements et doutes dans un secteur économique et industriel concurrentiel, voire agressif. Pris dans une entreprise amicale qui ressemble à une affaire de famille, ces passionnés tiennent à leur indépendance et à garder les moyens de leurs audaces. Ils ont le courage d’éditer des coffrets tels qu’une intégrale de vingt-deux films d’Eric Rohmer, d’en produire des bonus inédits qui ont fait dire à Serge Toubiana ce qu’on peut dire de ce beau livre : « Les mots qui viennent immédiatement à l’esprit (…) sont liberté, exigence artistique et morale, goût de la jeunesse et de la beauté, indépendance économique, souveraineté artistique, grande culture savante et classique, jamais ostentatoire ni pesante, modernité cinématographique. En un mot : la clarté. »