Le 25 janvier 2021
Magnifique faux film de soleil et de plage, qui analyse avec cruauté le sentiment amoureux.
- Réalisateur : Éric Rohmer
- Acteurs : Pascal Greggory, Arielle Dombasle, Simon de La Brosse, Féodor Atkine, Rosette, Amanda Langlet
- Genre : Comédie dramatique, Romance
- Nationalité : Français
- Distributeur : Les Films du Losange, AAA Distribution (Acteurs Auteurs Associés)
- Durée : 1h35mn
- VOD : ARTE
- Date télé : 25 janvier 2021 20:50
- Chaîne : France 5
- Box-office : 322 928 entrées France / 125 720 Paris Périphérie
- Date de sortie : 23 février 1983
- Festival : Festival de Berlin 1983
Résumé : Après son divorce, Marion décide de terminer l’été sur la côte normande, en compagnie de sa cousine Pauline. Les deux jeunes femmes vont vivre des histoires d’amour inattendues..
Critique : Pauline à la plage est le troisième des « Comédies et proverbes », série qui occupera Rohmer dans les années 80 ; années de créations majeures, chaque film constituant un chaînon indépendant, et pourtant lié aux autres à la manière d’une Comédie humaine mâtinée de Marivaux et Musset. Comme les autres, cet opus parle d’une histoire individuelle et minimale, portée par d’abondants dialogues qui peuvent aller jusqu’à la préciosité, mais pas à la gratuité. Qu’on écoute attentivement : rien d’anecdotique, rien qui ne serve l’intrigue, les personnages peu nombreux ne parlent que de sentiments et « vivent » très peu (ils se baignent, prennent d’illusoires leçons de planche à voile, mangent et dorment, mais surtout parlent). En ce sens, l’initiation de Pauline est moins sexuelle que langagière, puisque ce qu’elle apprend surtout, c’est la capacité des adultes à se bercer de mots et à se mentir, à eux comme aux autres, d’où la citation de Chrétien de Troyes en exergue : « Qui trop parloit, il se mesfait ». C’est l’une des trouvailles géniales de Rohmer que de mettre en valeur ce verbiage sérieux qui révèle essentiellement une fascination, voire une ivresse, pour le langage, beaucoup plus qu’une capacité d’autoanalyse.
- Copyright Les Films du Losange
Dès les toutes premières séquences, Marion (Arielle Dombasle) pose un discours amoureux qu’elle répétera avec d’infinies variantes, tout en se méprenant continuellement ; puis Henri (Féodor Atkine) et Pierre (Pascal Greggory) à leur tour iront de leurs conceptions amoureuses, très intellectualisées et théoriques. Il n’y a que Pauline, dans la fraîcheur de ses quinze ans, pour résister à un empilement artificiel de phrases. Parmi les comparses, Louisette la marchande populaire et Sylvain, l’amoureux de Pauline, échappent aussi à cette incessante tentative de cerner le sentiment, au prix parfois de contradictions et surtout d’erreurs. Pauline a raison de dire que « les gens refusent d’admettre les choix des autres », mais ils s’illusionnent aussi sur les leurs. Et même à la toute fin, Marion propose une sorte d’auto-persuasion mutuelle à Pauline, car, non, décidément, elle n’a rien appris.
On l’a souvent noté, Pauline à la plage s’ouvre et se clôt sur l’image d’un portail fermé, à la manière, si l’on veut, d’un rideau de théâtre qui encadre une parenthèse estivale. Parenthèse, mais pas heureuse : chacun vit un itinéraire en chassé-croisé qui le conduit à une déception, à part Henri, peut-être parce que le monde appartient aux cyniques jouisseurs et que les rêveurs ou les sentimentaux en sont impitoyablement exclus. C’est que, contrairement au titre anodin du film, qui ressemble à celui d’un livre pour enfants, contrairement à l’ensoleillement presque ininterrompu et que l’image d’Almendros magnifie, la fable est cruelle : pas de grand amour, mais des trahisons, des quiproquos et des mensonges. Si ce métrage est une « comédie », c’est une comédie de masques : masques qu’on exhibe ou dissimule, qui se déchirent et se reconstituent, mais masques indispensables pour vivre en société et s’y composer un personnage.
- Copyright Les Films du Losange
Chacun des personnages mériterait en lui-même une attention particulière, tant ils sont fouillés (et Rohmer refuse toujours l’univocité). Pour ne prendre qu’un exemple, Pierre, l’amoureux transi mais maladroit de Marion, se définit par ses attitudes (il boude, à la manière d’un enfant capricieux), son langage (il multiplie les négations : « je n’aime pas, je ne comprends pas ... »), aussi bien que par la manière dont le cinéaste le place dans le cadre : il ne cesse de s’en échapper ou d’en être poussé. C’est que Pierre est de trop, ou plus exactement en perpétuel contretemps. Il est le sommet indésirable d’un triangle, l’autre étant Marion et le troisième plus variable ; il ne cesse de vouloir casser ce triangle pour être au premier plan, mais ses rencontres deux à deux sont des catastrophes : il tente d’embrasser Marion mais elle le repousse, il se fâche avec Sylvain comme avec Pauline. Rohmer le charge encore en le lestant d’une planche à voile à peu près inutile (on l’entrevoit à peine dans l’eau) : Pierre est celui qui reste sur le sable… Pourtant il est attachant, sans doute par ses maladresses mêmes et par sa sincérité naïve ; et son charme de chien battu est souligné par les autres, qui répètent qu’il irait bien avec Marion. S’il apparaît comme le double inversé d’Henri, les choses sont en réalité plus complexes : Henri lui-même avoue ne pas être machiavélique. S’il agit ainsi, de manière inconséquente, c’est qu’il est dans l’instant, comme Pierre est dans un futur illusoire et Marion dans des rêveries vaporeuses.
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La mise en scène de Rohmer est aussi discrète que réfléchie : la scénographie, notamment, constamment signifiante, renvoie à la réalité des sentiments mais aussi à des rimes internes : observez par exemple les contacts avec Pauline : Marion l’enserre de manière protectrice, Sylvain l’enlace après un premier refus, et Henri l’approche comme un prédateur. Ainsi pourrait-on en regardant la position des personnages juger de l’état de leurs relations et la confronter à d’autres séquences. C’est tout l’art, réservé, presque poli, du cinéaste que de faire du sensible avec du presque invisible ; une manière de litote cinématographique. Mais il porte également un regard acéré sur la société des années 80 : chaque personnage est défini socialement, et cette appartenance de classe joue un rôle non négligeable. Là encore Rohmer se fait moralisateur, montrant sans y insister les vainqueurs et les perdants d’une société âpre et qui n’oublient pas tout à fait leur condition en été.
Pauline à la plage est très rigoureux : ni fioritures ni remplissage. Il est à la fois théorique et sensible, chaleureux et distant, immédiat sans facilités. Bref, comme d’autres films des « comédies et proverbes », c’est une œuvre profonde et magistrale qui, examinant des hommes et des femmes en vacances, ne parle ni de la plage ni des vacances. En se concentrant sur les dialogues et les actes de ces gens chez lesquels le verbe est important, mais également le regard qui révèle ou trompe (d’où les quiproquos), Rohmer fait une sorte d’état des lieux du sentiment amoureux, sans concession mais avec une humanité sereine et somme toute implacable. Un grand, grand film.
– Ours d’or - Berlin 1983
- © 1983 Les Films du Losange. Tous droits réservés.
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Thibaut Castillo 19 août 2020
Pauline à la plage - Éric Rohmer - critique
Excellent film, adroitement construit où le réalisateur nous amène à analyser les émotions des protagonistes.
Surtout excellente critique du film. Je me suis régalé en la lisant. Un grand merci à l’auteur.
Lucien75 23 août 2020
Pauline à la plage - Éric Rohmer - critique
Je l’avais vu lors de sa sortie et j’ai pris grand plaisir à le revoir sur ARTE replay avec une vision différente. Bonne analyse critique de cette fable morale.