Utopie cévenole
Le 31 octobre 2012
L’unique long-métrage du sculpteur Diourka Medveczky est un superbe conte poético-burlesque, brillant d’un éclat sombre et dénué d’illusions consolatrices. Une édition DVD bienvenue.
- Réalisateur : Diourka Medveczky
- Acteurs : Jean-Pierre Léaud, Bernadette Lafont, Jean-Pierre Kalfon, Béatrice Costantini, Kate Manheim
- Genre : Drame, Inédit (salle, vidéo)
- Nationalité : Français
- Editeur vidéo : Filmedia
- Durée : 1h32mn (1h28mn en DVD)
- Plus d'informations : http://www.dvdfr.com/dvd/f61735-dio...
L'a vu
Veut le voir
– Tourné à Paris (rue Henri de Bornier), Fresne-Léguillon et environs (Oise), au
Bois de Boulogne, à Saint-André-de-Valborgne (Gard) et sur l’Ile-aux-Moines
(Morbihan) en 1968/69.
– Sortie DVD le 6 novembre 2012
L’unique long-métrage du sculpteur Diourka Medveczky est un superbe conte poético-burlesque, brillant d’un éclat sombre et dénué d’illusions consolatrices.
L’argument : Paul fuit sa famille bourgeoise et parcourt la France. Il séjourne chez un cousin qui s’adonne à la drogue, puis se lie avec le pèlerin et son groupe, des sages qui fuient eux aussi la société mais n’ont pas chassé en eux les démons du mal. Paul vit avec eux jusqu’au jour où leur chef trahit les préceptes qu’il inculque. Il fuit alors avec Marianne, la femme de celui-ci. Tous deux s’installent sur une île déserte, mais un escadron d’entrepreneurs et de cadres débarquent. L’un d’eux emmène Marianne et fait tuer Paul. Par désespoir, Marianne se suicide en sautant de la voiture en marche.
Notre avis : Tourné avec peu de moyens, en marge du système, Paul est l’unique long-métrage réalisé par György Lajos Medveczky, alias Diourka Medveczky, qui s’était fait connaître d’abord comme sculpteur (Collaboration régulière avec la Galerie Rive Gauche de 1953 à 1960 ; Biennale de Paris en 1963 ; Grand Prix de la sculpture en 1965 pour Le grand Germe).
Deux admirables courts métrages, Marie et le curé (1967) et Jeanne et la moto (1968), avaient révélé un véritable cinéaste dont l’univers conjuguait poésie de l’incongru, rigueur de la composition, splendeur visuelle et une espèce de douceur dans la provocation que Truffaut, dans une lettre à Jacques Ledoux, avait situé dans la proximité de Dreyer et de Buñuel*.
Paul, qui est de la même eau, ne passa pas non plus inaperçu. Il fut présenté dans divers festivals (dont celui d’Hyères où il obtint le Grand Prix) et bénéficia d’un accueil critique très favorable. Mais il ne connut pas d’exploitation dans le circuit commercial habituel (bien que certaines sources indiquent une sortie province au 25 octobre 1969 qui serait à vérifier) ce qui le condamna à une semi-clandestinité dont il resurgit de temps à autre (Rétrospective Bernadette Lafont à Belfort en 1986 ; diffusion sur Cinéclassics en 2002 ; L’Etrange Festival en 2010).
- Paul (1969) - Diourka Medveczky
Le sujet est bien dans l’air des années 68, avec son protagoniste fuyant le monde bourgeois et la société de consommation et trouvant refuge auprès d’une communauté utopiste installée dans les Cévennes Gardoises..
Un humour acéré, percutant, imprègne les premières séquences, suite de saynètes poético-loufoques : le policier qui assomme un rat en lançant sa matraque ; les vacanciers campant au bord de la route et regardant passer les voitures).
Cette tonalité agressive s’estompe par la suite pour laisser place à une espèce de cérémonial mutique aux allures d’étrange conte initiatique, ponctué de lents va-et-vient de la caméra (horizontaux ou ascendants-descendants) mais l’incongru ne perd jamais totalement ses droits, comme dans la scène tranquillement déconcertante où Kalfon/Evariste est poursuivi par un sanglier.
Le force visionnaire des compositions (les tuniques noires, puis les blanches artistement disposées sur l’herbe et filmées d’en haut ; le lancinant mouvement circulaire dans la citerne) et le côté volontairement primitif de la mise en scène (juxtaposition de plans tableaux sans souci d’enchaînement narratif huilé) donnent à l’ensemble le caractère d’une célébration ardente de la beauté et de la nature qui ne se berce pourtant pas d’illusions consolatrices. Le décalage entre les aspirations utopiques et le réel est montré crûment (Va te coucher dit le paysan en congédiant Paul incapable de charger un tas de betteraves) et les rituels inoffensifs de la secte sont à la fois visuellement fascinants et légèrement ridicules, comme un jeu bizarre et régressif.
- Jean-Pierre Léaud et Bernadette Lafont dans Paul (1969) - Diourka Medveczky
Ce film étrange ne cesse de naviguer entre émerveillement enfantin et effroi et sidère plus d’une fois par des images fortes, qui s’impriment dans la mémoire, comme ce plan sur le visage effaré de Lafont/Marianne avant qu’elle se jette de la voiture dans la dernière séquence.
Indispensable pour tout amateur d’expériences cinématographiques authentiques et dérangeantes.
Le DVD
Paul (1969) - Diourka Medveczky
Une belle édition DVD réunit l’unique long-métrage de Diourka, ses deux courts et deux remarquables documentaires-portraits. Une occasion inespérée de redécouvrir dans les meilleures conditions cette oeuvre rare.
Les suppléments
– Marie et le curé et Jeanne et la moto, les deux courts métrages réalisés par Diourka Medveczky avant Paul, sont deux joyaux à la stupéfiante splendeur visuelle et au surréalisme doucement perturbant.
– Un livret illustré de 16 pages, conçu et rédigé par Bernard Bastide, contient une biographie de Diourka Medveczky, un long entretien qui complète utilement le documentaire de Labarthe (où Diourka parle assez peu de Paul), une revue de presse, les fiches des trois films ainsi qu’un bref synopsis de Margaret, projet non réalisé.
– Dans le chaleureux documentaire-portrait Diourka, à prendre ou à laisser (2011) Estelle Fredet et André S.Labarthe nous emmènent dans les Cévennes Gardoises (là même où furent filmées plusieurs séquences de Paul) pour rencontrer le bouillonnant ermite octogénaire refusant qu’on le prenne pour Dieu (Christ mais pas Dieu !), s’extasiant encore de la jolie voix d’Isabelle Mercanton, l’interprète de Jeanne et la moto, ou se souvenant avec émotion de sa fille disparue, Pauline (Lafont).
– L’autre film de Fredet et Labarthe, intitulé Bernadette Lafont, exactement (2007) n’est pas moins passionnant. Filmée chez elle en l’espace d’une journée, l’actrice y dialogue amicalement avec Jean Douchet ou Dominique Païni tout en vaquant à ses occupations (par exemple accueillir de jeunes musiciens pour ce qui va devenir une espèce de happening) improvisé.
Les extraits de films, certains très rares (notamment ceux de Lazloo Szabo, Zig Zig et Les gants blancs du diables) et d’émissions télé trouvent naturellement leur place dans ce documentaire qui déjoue musicalement les conventions du genre.
Image
Les trois film ont été restaurés et bénéficient d’un report de qualité qui permet d’apprécier pleinement l’admirable travail sur la photo noir et blanc réalisé, pour Paul, par Charles Recors (assisté de Philippe Rousselot), et pour les courts métrages par Daniel Maldinez (et Noël Burch pour Marie).
Son
La bande mono est d’une grande netteté et permet à chaque élément de prendre un relief étonnant : voix, silence bruissant de la nature, brusques irruptions musicales (les tambours ou le grand orchestre symphonique jouant Smetana dans Paul ; les compositions de Pierre Henry dans Marie et le curé).
*Lettre à Jacques Ledoux datée du 6 février 1967, reprise dans François Truffaut, Correspondance, 5 Continents/Hatier, 1988 et citée dans le livret d’accompagnement du coffret DVD.
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.