Le 6 octobre 2020
Plus d’un demi-siècle avant le mouvement #MeToo, Ida Lupino dénonçait avec force les violences faites aux femmes. Un film noir d’une grande densité.
- Réalisateur : Ida Lupino
- Acteurs : Tod Andrews, Robert Clarke, Mala Powers
- Genre : Drame, Noir et blanc, Drame social
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Théâtre du Temple
- Durée : 1h15 mn
- Reprise: 9 septembre 2020
- Titre original : Outrage
- Date de sortie : 15 décembre 1950
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Résumé : Ann est une jeune femme comme tant d’autres : elle travaille comme comptable dans un bureau d’une petite ville de la province américaine. Elle a un petit ami qui vient de lui demander de l’épouser, des parents aimants et de gentils collègues. C’est une personne heureuse et insouciante, prête à commencer sa nouvelle vie aux côtés de l’homme qu’elle aime. Un soir, Ann s’attarde au travail et rentre chez elle quand il fait déjà nuit. Le gérant du kiosque où elle achète le déjeuner tous les jours la suit et l’attaque dans un parking de camions. Un cauchemar commence alors pour Ann : les flics en charge de l’affaire se montrent complètement incompétents, amis et collègues la regardent comme une sorte d’attraction, les voisins lui font des rires et des clins d’œil dans la rue. Après une nouvelle dispute avec son petit ami, Ann décide de s’échapper, de prendre un bus qui l’emmène dans une autre ville, un endroit où elle est plus que juste une fille brutalement outragée...
- ©Théâtre du Temple
Critique : La longue séquence dans laquelle Ann est d’abord traquée puis attaquée est un grand moment de cinéma, avec des échos hitchcockiens. Pour cette séquence atroce et sublime, Lupino choisit d’éliminer tout commentaire musical. Ann quitte le bureau en sifflant, son agresseur la suit. Elle ne le remarque pas et quand il siffle à son tour pour attirer son attention, sa mélodie vole la bande sonore du film. Ainsi, nous restons seuls dans le silence, avec Ann, les bruits ambiants, ses pas excités, le bruit sourd métallique d’une poubelle tombant au sol et enfin, l’alarme assourdissant d’un camion. Et, pendant que l’héroïne implore de l’aide dans la nuit, le gardien du parking, dérangé par le bruit, ferme la fenêtre, l’écran s’estompe dans le noir. Malheureusement, à une première partie si impressionnante correspond une seconde partie moins incisive : Ann trouve refuge dans une ferme et rencontre un révérend qui s’occupe d’elle. L’intrigue se poursuit de manière assez classique, jusqu’à la séquence, également courageuse et en avance sur son temps, de la fête à la campagne. Approchée par un garçon qui aimerait danser avec elle, Ann revoit la scène de son viol et et le frappe avec une clé en fer. L’homme de la fête, qui continue à ignorer les « non » répétés d’Ann, est une figure exemplaire de ce que l’on appellera, en Amérique, "la culture du viol". Lorsque la jeune femme est accusée d’avoir failli tuer un innocent, sa réaction sera la question désespérée adressée au juge : mais pourquoi personne ne peut-il comprendre ?
Martin Scorsese, dans son Journey into American Cinema, définit Outrage d’Ida Lupino comme l’un des meilleurs films noirs de tous les temps. Mais ce film s’envisage au-delà de son genre. En fait, il ne se concentre pas tant sur l’enquête pour trouver le coupable du crime en question, mais investit plutôt les effets que ce crime a sur la psyché de la protagoniste. On a longtemps parlé d’Ida Lupino comme une anomalie de l’industrie hollywoodienne plutôt que comme la grande cinéaste qu’elle fut. Auteure indépendante à part entière, elle possédait sa propre société de production avec laquelle elle travaillait, sans stars, s’accommodant de budgets réduits, en toute autonomie, ce qui lui a permis de faire des films comme Outrage, qui anticipe le problème de la violence contre les femmes d’au moins un demi-siècle. Plus de soixante ans après sa sortie, en effet, le long métrage reste un document fondamental du cinéma indépendant, réalisé par une femme qui a eu la force d’affronter des démons inavouables pour l’époque.
- ©Théâtre du Temple
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