Critique  : Ce roman est celui d’une certaine Amérique, à une certaine époque. Tucker, à dix-huit ans, est vétéran de la guerre de Corée. Il rentre d’Asie aguerri, grandi trop vite. Toujours aussi silencieux et vif. Alors qu’il traverse les bois du Kentucky en direction de la maison qu’il a quittée pour s’enrôler, sa route croise celle de Rhonda et de son oncle qui essaie de la violer. Cet événement bouleversera à jamais leur existence. Ils se comprennent, se parlent peu mais leur cœur bat à l’unisson. Dix ans plus tard, le lecteur les retrouve alors qu’ils ont cinq enfants, qu’ils ne sont pas vraiment heureux, mais se résignent, tentent de rendre plus parfaite leur famille imparfaite, d’équilibrer cette maisonnée déséquilibrée. Ils font contre mauvaise fortune bon cœur et choient, à leur manière, leurs filles trop nombreuses et leur fils hydrocéphale. Mais dans ces collines de multiples menaces planent sur la vie des hommes. Prison, représailles, blessures, dettes, services sociaux, maladies. La seule richesse que possèdent Tucker et sa belle pourrait bien leur être volée malgré leurs sacrifices.
Chris Offutt sort d’un silence de vingt ans pour raconter le calme lourd et profond des nuits appalaches, entre ciel immense et collines étouffantes, mais rassurantes. D’un style acéré, avec des phrases courtes et d’une simplicité déconcertante, l’auteur dresse le portrait d’une famille rurale des années 1960, acculée par de nombreux maux, mais toujours unie face à l’adversité. Les focalisations changent pour quelques lignes, le paysage du roman se vallonne, de la profondeur naît de cette intelligente instabilité. La nature et l’homme ne font qu’un dans ce livre, comme dans tant d’ouvrages publiés par Gallmeister. Les plantes inconnues fourmillent, les bois, rassurants, se dressent comme une muraille entre « eux » et ceux de la ville. La lune, puis l’aurore, baignent Nuits appalaches d’une lumière tamisée, poussiéreuse et timide tout à la fois. Le firmament se déploie au-dessus des protagonistes comme seule certitude, et la plume prosaïque et étonnamment poétique de l’auteur lui rend un hommage saisissant.