Il y a certes du muscle, de l’effort et de la sueur qui se dissout dans le vert d’une pelouse raclée par les crampons en action mais bien au-delà du sport, le rugby est surtout un art avec ses codes, ses légendes et ses héros.
De Twickenham et Charléty aux stades villageois du Sud-Ouest, ses praticiens rejouent ainsi depuis des décennies les grands faits de la mythologie antique. La farce jouée en 1999 par notre David national, Christophe Dominici, au Goliath néo-zélandais, Jonah Lomu, n’en est qu’une ultime illustration.

La dimension épique du rugby se traduit par un vocabulaire haut en couleurs qu’ont magnifié bien des auteurs, à commencer par Antoine Blondin qui disait d’ailleurs de ce sport qu’il ouvrait la porte aux rêves.
Michel Embareck, également journaliste, et Eric Halphen, ancien juge d’instruction, n’ont donc pas hésité à relever le défi en célébrant à leur tour le monde de l’ovalie. Ils se sont ainsi tour à tour passé la balle pour écrire ces Nouvelles mêlées qui ne raviront pas seulement les fous de rugby mais aussi les amoureux du bon mot.

Loin des fastes médiatiques des compétitions internationales et d’un rugby de professionnels joué aujourd’hui au cordeau, c’est le ballon ovale à la papa qui est au cœur des récits des deux auteurs, celui qui s’apprend dès le plus jeune âge pour endurcir les nouvelles générations, celui qui se joue à la hussarde sans préméditations tacticiennes avec des envolées à faire pâlir de jalousie les étourneaux du village et des placages qui feraient frémir les légionnaires les plus endurcis.

Chacune des nouvelles d’Embareck et Halphen fait la part belle aux figures typiques de ce sport dont on a tradition de dire qu’il est un jeu de voyous joué par des gentlemen ou l’inverse, allez savoir ! Il y les plus jeunes qui, génération après génération, respectent la tradition de retour de match, à savoir "aligner leurs joufflus sur le dossier de la banquette arrière du car", les héros vieillissants qui, tout auréolés de gloire à force de marquer et confirmer, en viennent à oublier la vraie vie à l’extérieur du terrain. Il y a les Roger Couderc des campagnes, ces vieux supporters capables de raconter avec une verve hugolienne les petites et les grandes histoires du rugby et puis il y a bien sûr tous ces beaux bébés qui composent des packs de près d’une tonne de barbaque et qui n’économisent ni leur peine ni leurs douleurs. "Mieux qu’un casting. Des gueules, des physiques bruts de santé"...

Roman noir ou souvenir de jeunesse, brutalité virile ou émotion de midinette, quels que soient le genre et le ton donné à chaque nouvelle, les deux auteurs font revivre chacun à sa manière cette grande épopée des chevaliers de la Table Ovale.
Maniant avec grand art le mot aussi drôle qu’imagé, Michel Embareck affectionne plus particulièrement cette gouaille savoureuse à la Audiard ou la Blondin qui va si bien au rugby. Goûtant le registre du roman noir, Eric Halphen a le verbe plus mélancolique.

Le résultat est au final certes inégal selon l’inspiration du moment de l’un et de l’autre, mais l’ensemble laisse ce goût de "revenez-y" qui conclut habituellement une troisième mi-temps bien arrosée de bonheur.