Le 5 août 2018
Les meilleures intentions conduisent parfois aux mauvais livres. Philippe Torreton préempte des vies, pour asséner une leçon de morale citoyenne. Et sonne faux.


- Auteur : Philippe Torreton
- Editeur : Le Cherche-Midi
- Genre : Nouvelles
- Plus d'informations : Le site officiel

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Résumé : "Le moyen d’acquérir la justice parfaite, c’est de s’en faire une telle habitude qu’on l’observe dans les plus petites choses, et qu’on s’y plie jusqu’à sa manière de penser" Montesquieu " Je sais d’avance que nous allons en laisser les trois quarts sur le bas-côté. Toute cette malchance qui se sème comme une mauvaise herbe, cette vie en tee-shirt Mickey et survêtement Spiderman, ce scorbut culturel, je l’ai devant moi. On ravale les façades, comme les immeubles de la cité d’à côté, de loin ça fait mieux, mais au-dedans du dedans l’ascenseur social est toujours bien crado et en panne. Le manque de moyens érigé en principe pédagogique, l’impuissance en réactivité, ça suffit. Vivement les catastrophes, puisque l’humanité ne comprend les choses qu’à grands coups de boutoir. "
Notre avis : Ce livre a tout pour être aimé : généreux, indigné, humaniste. Et pourtant, quelque chose ne passe pas, qui n’a pas nom "la révolte contre les injustices sociales", mais s’appelle l’écriture, écrasée par une somme de colères, asservie aux slogans vers lesquels, forcément, converge ce texte citoyen, comme on dit. Choix éditorial sans doute, mais il est assommant que ces énoncés clignotants se détachent régulièrement sur la page de droite, comme pour asséner aux lecteurs la nécessité de ce qu’il doit retenir.
La complexité du réel vaut mieux que quelques phrases colériques dont la pensée est absente -"des syndicats aux ordres muets comme des tanches"- ou une série de pontifiantes lapalissades qui lorgnent vers l’estrade à tribuns - "la démocratie se porte d’autant mieux que le débat politique est plus riche et diversifié" -. Le café du commerce français où s’épanouit une sorte de discursivité audiardienne, dont la langue de Torreton porte les traces, est la géographie dans laquelle s’inscrit ce pamphlet. Métaphores gouailleuses et hyperboles à l’emporte-pièce y abondent, qui disent la prégnance d’une tradition populaire hexagonale.
La principale intention de ce court texte est de narrer des expériences individuelles, en donnant la parole à tous ceux qui vivent les violences sociales : nous entendrons donc un enseignant, un chômeur, un homme d’affaires, etc.
L’auteur a-t-il recueilli d’authentiques témoignages ? A-t-il écouté ces gens, comme le firent autrefois les rédacteurs de La Misère du monde ? Non, il se glisse dans leur peau, il adopte leur énonciation, il singe des parlers, mais il injecte surtout son indignation à lui, en essentialisant des expériences, en les lissant pour faire de ces individus des créatures torretoniennes, forcément impeccables dans leur courroux, qui entendent, lorsqu’elles parlent, passer le souffle des ires hugoliennes d’antan. Sonnez tocsins et trompettes.
Peut-être s’agit-il d’une déformation professionnelle ? Le comédien, qui aime à incarner des personnages, ne se prive pas de jouer avec les identités. Sauf qu’ici on parle du réel, on parle de la vraie vie et que toutes ces existences préemptées par l’artiste-qui-a-quelque-chose-à-dire attestent d’une démarche finalement moraliste.