Le 29 octobre 2017
Une rareté de King Vidor qui décrit avec lyrisme et sobriété le rêve des laissés-pour-compte de la crise de 1929. Le premier film indépendant du cinéma parlant américain.
- Réalisateur : King Vidor
- Acteurs : John Qualen, Karen Morley, Tom Keene, Barbara Pepper, Addison Richards
- Genre : Drame
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Théâtre du Temple
- Editeur vidéo : Lobster
- Durée : 1h14mn
- Reprise: 18 octobre 2017
- Titre original : Our Daily Bread
- Date de sortie : 12 octobre 1934
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Résumé : En 1929, alors que les États-Unis traversent une crise économique historique, John et Mary, dont la situation financière est critique, se voient proposer de reprendre une petite ferme hypothéquée. Ils acceptent mais l’ampleur de la tâche est telle qu’ils décident de s’organiser en coopérative. De tout le pays, des victimes de la crise affluent. Commence alors une incroyable aventure collective...
Critique : King Vidor a été un réalisateur ayant toujours voulu imprégner sa marque dans le système des studios hollywoodiens. En 1928, La Foule, l’un des derniers grands films muets, abordait avec lyrisme et réalisme les difficultés d’un jeune couple d’employés confrontés à l’individualisme urbain. L’année suivante, Hallelujah ! était la première œuvre interprétée uniquement par des Noirs. Le synopsis de Notre pain quotidien effraya les producteurs qui refusèrent de le financer. Aussi, le cinéaste dut rassembler des fonds pour créer sa propre société de production : en ce sens, le métrage est le premier film indépendant de l’histoire du cinéma américain parlant. Confiant l’écriture de l’histoire à Elizabeth Hill (l’une des rares femmes scénaristes de l’époque), et les dialogues à Joseph L. Mankiewicz, Vidor composa un casting sans acteurs connus et s’entoura d’une équipe technique solide dont le directeur de la photo Robert H. Plank. Ce dernier n’est pas pour rien dans la réussite plastique des séquences de travail agricole, qui culmine dans une scène finale avec irrigation des champs. On est également frappé par l’audace narrative du film, qui dresse un portrait sans concessions des laissés-pour-compte de la dépression des années 30. Insolvables et fauchés, Mary et John, qui s’avèrent être les mêmes protagonistes que La Foule (mais joués par deux autres comédiens), arrivent à fonder une micro-communauté qui va défendre les valeurs de travail et de solidarité, et œuvrer à transformer une terre aride en terrain agricole fertile.
Certes, on retrouve plusieurs éléments de la culture fondatrice américaine, à savoir le mythe du self made man, la valorisation de l’initiative et du mérite, la religion comme élément fondamental du lien social ainsi que la communion entre l’homme et une nature protectrice, dans l’esprit des pionniers du continent, le tout avec un optimisme à la Capra. Par ailleurs, tout écart de conduite est moralement réprimandé, et lorsqu’une femme fatale vient séduire le leader du groupe, elle est vite renvoyée à sa place par les habitants. Pourtant, il n’est pas étonnant qu’Hollywood ait renoncé à produire un film qui fait l’éloge de l’entreprise coopérative, de la rapacité des banques, et de la remise en cause des institutions (la vente aux enchères de la ferme qui tourne au fiasco). Car Notre pain quotidien est bien une critique sociale, visant les autorités administratives aussi bien que le pouvoir politique (le New Deal de Roosevelt n’avait pas encore fait ses preuves au moment du tournage). On ne saurait pour autant qualifier le film de subversif (il n’est en rien l’éloge du collectivisme). C’est la raison pour laquelle Notre pain quotidien peut être considéré comme en marge du système hollywoodien, sans être pour autant en contradiction avec le rêve états-unien. On remarquera aussi (et surtout) la splendeur esthétique du film, ainsi que l’originalité avec laquelle Vidor aborde l’un de ses thèmes préférés, qui est le sens du sacrifice : car le personnage qui se dévouera le plus à la cause du groupe n’est autre que l’évadé de prison disposé à être dénoncé pour que la communauté puisse récupérer la prime…
Et l’on appréciera certaines entraves au pudibond code Hays dans une scène (certes suggestive) de rapprochement conjugal entre Mary et John. Les deux acteurs sont d’ailleurs impeccables : Karen Morley, qui succède à Eleanor Boardman pour le rôle de Mary, a le tempérament dramatique d’une Joan Crawford et la sensibilité d’une Sylvia Sidney : on ne peut que regretter qu’elle ait été blacklistée par le maccarthysme dans les années 50. Son partenaire Tom Keene vaut bien un Robert Taylor et se montre le digne successeur de James Murray. Si certains éléments ont vieilli (le jeu théâtral des seconds rôles, une musique envahissante), Notre pain quotidien est indiscutablement un grand classique à redécouvrir. Il est à noter (mais est-ce surprenant ?) que le film, du même niveau que Les Raisins de la colère de John Ford, ne récolta aucune nomination à l’Oscar, en dépit de ses qualités. Et il a souvent été éclipsé dans la filmographie de King Vidor par des œuvres de l’envergure du western romanesque Duel au soleil (1946) ou du drame Le Rebelle (1949). Distribuée à sa sortie par United Artists (en accord avec Charles Chaplin), l’œuvre a fait l’objet d’une belle version restaurée diffusée en DVD par Lobster et programmée en salle à l’initiative de Théâtre du Temple.
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