Woman Crisis
Le 30 août 2022
A travers le portrait sensible d’une sexagénaire désaxée, Chloé Zhao parvient à saisir une vérité commune sur la condition humaine et notre rapport au monde moderne et ses contradictions. En résulte un long métrage troublant, à la lisière du cinéma-vérité, où l’imagerie quasi fantastique se mêle à un geste artistique audacieux, comme nul autre pareil. Coup de maître.
- Réalisateur : Chloé Zhao
- Acteurs : Frances McDormand, David Strathairn, Gay DeForest, Patricia Grier , Linda May
- Genre : Road movie, Drame social
- Nationalité : Américain, Allemand
- Distributeur : Twentieth Century Fox France
- Date télé : 11 février 2023 20:50
- Chaîne : Ciné+ Premier
- Titre original : Nomadland: Surviving America in the Twenty-First Century de Jessica Bruder
- Date de sortie : 12 mai 2021
Résumé : Après l’effondrement économique de la cité ouvrière du Nevada où elle vivait, Fern décide de prendre la route à bord de son van aménagé et d’adopter une vie de nomade des temps modernes, en rupture avec les standards de la société actuelle. De vrais nomades incarnent les camarades et mentors de Fern et l’accompagnent dans sa découverte des vastes étendues de l’Ouest américain.
Critique : Les mensonges éhontés des banquiers et courtiers, mêlés aux manigances à peine dissimulées d’un ordre social à l’agonie, ont précipité les Etats-Unis et ses semblables dans un gouffre sans fond. En 2008, des centaines de milliers de personnes, la plupart issues de milieux populaires, victimes d’une stratification sociale inhérente au pays, ont perdu leur travail, leur maison, tout l’argent patiemment mis de côté pour une retraite de misère. Plongés dans une apocalypse économique sans précédent, les rares survivants ont préféré investir leurs derniers billets et le peu d’énergie qui leur restaient dans l’aménagement d’un van, un camion ou même une voiture, et les voilà partis sur la route, sans but, sans aspirations autres que celles de subsister dans un monde qui a choisi de les avaler, puis de les rejeter comme des énergumènes, des parias de la société de consommation. Ils sont devenus, malgré eux, des migrants d’un nouveau genre, les nomades d’une american way of life avortée. La cinéaste Chloé Zhao, s’appuyant sur l’investissement exceptionnel de l’actrice multi récompensée Frances McDormand, également productrice du film, a entrepris de concevoir l’adaptation du livre éponyme de Jessica Bruder, tel un geste cinématographique alliant la captation du réel à une forme de vertige lyrique et intrinsèquement salvateur. Nomadland se veut moins un pensum lourdingue sur les conséquences tangibles de la crise des subprimes qu’une cristallisation saisissante de tout un pan de l’Amérique, comme on ne l’a jamais vu jusqu’ici. Le personnage de Fern, avatar du spectateur, aura passé un peu moins de trois ans à rencontrer, suivre et écouter ces désaxés de l’existence, ces "fous furieux, les furieux de la vie, les furieux du verbe qui veulent tout à la fois, ceux qui ne baillent jamais, qui sont incapables de dire des banalités mais qui flambent, jalonnant la nuit comme des cierges d’église" comme les aurait qualifiés le romancier Jack Kerouac dans Sur La Route.
Zhao parvient avec une liberté de ton admirable à alterner entre différents genres, différents styles, différents gimmicks de réalisation, et ainsi donner une nouvelle dimension au road movie, en mariant instinctivement la forme documentaire, à travers ces nombreux portraits d’hommes et de femmes comme Linda May, septuagénaire taillant la route, mais dont le rêve est de bâtir un jour de ses mains un géonef et de s’y poser pour terminer sa vie décemment, avec une imagerie naturaliste que n’aurait pas reniée Terrence Malick et ses emphases prophétiques, tout en affirmant une propre identité et une démarche artistique originale. Car la richesse de Nomadland demeure indéniablement sa capacité à sonder l’esprit humain et créer une certaine logique dramatique, au fur et mesure des différentes contacts noués par Fern au milieu de cette désolation. Au-delà de la simple rencontre, on assiste ici à une véritable étude anthropologique d’un pays confronté à ses démons. Certaines images sont d’une beauté évocatrice fascinante et restent gravées dans les mémoires, comme cette réplique de dinosaure au milieu d’un ancien parc d’attractions désaffecté ou bien encore cette ville fantôme, où toute trace de civilisation semble se ternir au cours des années. En cela, Nomadland se pose en tant qu’état des lieux d’une décennie de souffrances collectives, autant qu’une réflexion assidue sur la place de l’homme, dans une société qui se plaît à déshumaniser ses principes les plus fondateurs et creuser durablement son propre tombeau.
Nomadland est une œuvre universelle et, espérons-le, fédératrice sur les nomades des temps modernes, ainsi qu’un portrait brillamment mené, celui d’une femme de décisions, une porte-parole de tout un pan de l’Amérique que nous autres découvrons avec un regard empreint de spiritualité. Ce troisième film admirable a permis à Chloé Zhao de remporter l’Oscar de la meilleure réalisatrice, lui laissant le champ libre pour expérimenter de nouvelles thématiques, par le biais de nouvelles formes. Souhaitons qu’elle le fasse avec la même délicatesse et la même affection pour ses personnages perdus dans l’oubli, comme des larmes dans la pluie.
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.
ceciloule 17 juin 2021
Nomadland - Chloé Zhao - critique
Il est vrai que cette réalisation tient davantage du docu-fiction que du long-métrage fictionnel à proprement parler. C’est en effet tout un pan de l’Amérique qui se révèle à nous grâce à Chloé Zhao, tant social que géographique. La beauté des paysages semble d’ailleurs là pour souligner la solitude de ces vagabonds "des temps modernes". Malgré tout, la lenteur des plans, le silence qui l’emporte sur les dialogues, en font un film exigeant et dur, profondément sombre (j’en parle plus longuement ici : https://pamolico.wordpress.com/2021/06/17/nomadland-chloe-zhao/)