Le 21 août 2017
À travers le portrait de Toulouse-Lautrec, Huston dessine avec sensibilité une Belle Époque scindée en deux mondes opposés.
- Réalisateur : John Huston
- Acteurs : Peter Cushing, José Ferrer, Zsa Zsa Gabor, Georges Lannes, Mary Clare, Theodore Bikel, Claude Nollier, Colette Marchand
- Genre : Drame, Biopic
- Nationalité : Britannique
- Durée : 2h03mn
- Box-office : 4 081 691 entrées France ; 11 810 000 $ USA
- Date de sortie : 11 décembre 1953
- Festival : Festival de Venise 1953
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Résumé : A la suite d’une chute dans un escalier du château familial d’Albi, Henri de Toulouse-Lautrec restera infirme toute sa vie : avec un corps d’adulte sur des jambes d’enfant... Aucune femme ne veut de lui. Henri trompe sa solitude en peignant. Il monte à Paris, fréquente assidûment le cabaret du Moulin Rouge et devient l’ami des vedettes de l’établissement : Jane Avril, La Goulue, Aïcha, Valentin le Désossé, les danseuses du French cancan.
Critique : Après avoir tourné Key Largo, Quand la ville dort et The African queen, John Huston s’attaquait à un biopic détonant dans un ensemble jusque là relativement homogène ; pourtant, on voit bien ce qui a dû attirer le cinéaste qui pouvait retrouver avec Toulouse-Lautrec l’un de ses perdants magnifiques, un homme qu’un destin contraire, une chute dans un escalier, laisse handicapé, et qui refuse l’apitoiement. Faux cynique, sentimental contrarié, il peint et boit sans mesure (le reste, le bordel, est pudiquement suggéré – nous sommes en 1952). Les deux femmes qui traversent sa vie, Marie la prostituée et Myriam l’élégante, sont deux faces d’un même échec qui donne à ce portrait noir des colorations émouvantes ; la séparation avec Myriam en particulier est bouleversante.
Huston dresse aussi un fascinant tableau d’une Belle Époque prise entre l’étourdissement du french cancan et la misère sordide : il alterne les somptueux travellings dans le cabaret et la noirceur, le gris d’un monde parallèle qui s’abrutit d’alcool. Le regard sans jugement qu’il porte sur les gueux rehausse le portrait d’un Toulouse-Lautrec froid avec les riches et compatissant avec ceux que la pauvreté peut condamner au mensonge ; sans doute trouve-t-il aussi dans Marie un écho à sa propre tendance à l’autodestruction qu’une tentative de suicide au gaz concrétise autant que ses beuveries ou son refus d’être aimé. De fait, le peintre incarne son époque, entre dorure et guenilles, lui dont l’art peine à compenser le handicap ; riche et pourtant proche du peuple, parce que comme eux mis de côté, il est en butte aux quolibets cruels, quolibets qu’il finit par prononcer lui-même en une ironie cinglante que Huston a dû apprécier.
Certes, tout n’est pas heureux dans Moulin Rouge : le scénario patine par moments, le catalogue d’images inspirant des tableaux frise le systématisme, les flash-back s’intègrent mal et les expérimentations de couleurs ne sont pas toujours convaincantes. Mais l’interprétation de José Ferrer, qui dut jouer à genoux, pleine de morgue et de sensibilité, la mise en scène parfois inspirée ou telle scène comme le monologue de la Goulue tombée dans la déchéance, lui font largement dépasser le pittoresque facile ou la reconstitution aseptisée. Œuvre relativement mineure d’un cinéaste d’exception, ce film, humain et douloureux, témoigne d’un talent protéiforme indéniable et s’impose par sa générosité profonde.
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