Starman
Le 10 mars 2016
Jeff Nichols ravive les classiques de la SF des années 80, une fois de plus au prisme de la famille. Moins de psychologie qu’à l’accoutumée, mais une leçon de mise en scène ahurissante.
- Réalisateur : Jeff Nichols
- Acteurs : Kirsten Dunst, Sam Shepard, Michael Shannon, Joel Edgerton, Adam Driver, Jaeden Lieberher
- Genre : Drame, Science-fiction
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Warner Bros. France
- Durée : 1h51mn
- Date télé : 25 avril 2017 22:40
- Chaîne : CANAL +
- Date de sortie : 16 mars 2016
- Festival : Festival de Berlin 2016
Résumé : Roy et son fils Alton sont en cavale depuis que le père a appris que son enfant possède des pouvoirs surnaturels. Lucas, un ami de Roy, se joint à l’échappée.
Critique : Jamais avant Midnight Special l’intrigue chez Jeff Nichols n’avait paru à ce point resserrée, ne se contentant que de porter quelques formes, dans un pur acte de mise en scène. D’un bout à l’autre de son quatrième long métrage, hypnotique, le Texan entraîne le spectateur en une fuite noctambule fiévreuse et lapidaire. Là où Shotgun Stories, Take Shelter et Mud se montraient plus diserts quant à la psychologie et la motivation de leurs personnages, Midnight Special ne s’embarrasse d’aucun détail superflu et privilégie l’esquisse d’une structure elliptique jusqu’au-boutiste. La trajectoire, radicale bien que ténue, propulse deux hommes, Roy et Lucas, sur la route à toute allure dans le silence de la nuit. Du duo, qui convoie au péril de sa vie Alton, un enfant aux pouvoirs surnaturels vers un lieu énigmatique, l’on ne sait rien ou presque - aucune exposition ne venant nous enquérir des enjeux initiaux. Et d’innombrables questions fatalement taraudent, dans une dynamique quelque peu shyamalanienne. Mais Jeff Nichols ne cloisonne heureusement jamais le regard, l’incitant au contraire à se perdre dans la course effrénée des plans et séquences. Comme toujours chez lui depuis Take Shelter, toute l’énergie du récit consiste à placer l’enfant au cœur du film, à le sonder et peut-être à terme à le comprendre. C’est que le cinéaste poursuit sa quête introspective, celle d’un homme devenu père et vivant ce nouveau rôle avec beaucoup d’angoisse. Cet être sera-t-il bon, et ses parents seront-ils capables de dominer leurs peurs afin d’éviter à l’avenir d’exercer sur lui un contrôle néfaste ?
- Copyright 2016 Warner Bros Entertainment Inc. and Ratpac-Dune Entertainment LLC
Toutes ces problématiques a priori terre-à-terre sont précisément ce qui génère la science-fiction dans Midnight Special : l’histoire d’un père et d’une mère contraints de manifester une confiance aveugle en leur enfant, lui-même à l’origine d’évènements extraordinaires. Par-delà les apparences, la question ici posée est non pas celle d’un dogme ou d’une croyance, comme le laisse d’abord penser l’importance de la secte d’évangélistes tordus d’où s’enfuit Alton, mais de croire simplement en son enfant. À cet effet, Jeff Nichols projette comme nul autre cette relation intime sur un axe cosmique, comme dans Take Shelter et Mud. Alton, dont l’origine des pouvoirs n’est pas explicite, fonctionne comme une boîte de Pandore, un pont entre deux mondes dont l’ouverture inattendue provoque chaque fois son petit cataclysme. Faut-il y voir l’allégorie de l’horizon futur du jeune garçon, perçu par les adultes comme l’imminence d’une possible catastrophe - la fameuse angoisse du père ? Quoi qu’il en soit, Alton suscite l’intérêt de tous : considéré comme un messie par la secte à ses trousses, il est vu par la NSA comme une arme à même d’interférer sur les communications des services secrets américains. Il serait tentant de connecter tous ces éléments pour y dégager d’autres pistes de réflexion, mais les nombreuses portes laissées entrebâillées par le scénario semblent avant tout une manière pour Jeff Nichols de jouer avec le spectateur, de s’amuser de son intelligence. Sans compter, une fois de plus, une façon de mettre en scène la paranoïa et la lutte contre la société, mantra de son cinéma. Quid de l’absence de technologies dans le film, dont Nichols ne supporte pas la vue : notons à ce titre à quel point le protagoniste de la NSA incarné par Adam Driver est analogique, de sa prise de note à la main à ce moment où il brise symboliquement son téléphone portable.
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Comme à son habitude, l’Américain développe des atmosphères vaporeuses et quasi oniriques, mais toutefois contaminées par une violence sourde, ou a contrario retentissante - voir la séquence suffocante des satellites s’écrasant près de la station service en des gerbes de flamme. Une dichotomie somme toute plus complexe que les articulations des films de Shyamalan. Le suspense et la tension, avec leurs ressorts mystérieux et leur portée universelle, font plutôt écho dans Midnight Special à Steven Spielberg, à commencer par E.T., Rencontres du troisième type et La guerre des mondes. Analogie qui n’est pas un hasard, lorsqu’on sait combien ces trois films se veulent eux aussi des descriptions délicates de la famille (et de la société) américaine. Enfin, il serait logique de ranger Midnight Special aux côtés de métrages eighties dans la veine de Starman (John Carpenter, 1984) qui, non content de partager le mode road movie nocturne sur fond de SF, met aussi en scène un personnage extraordinaire désireux d’atteindre un lieu précis et sibyllin. C’est ainsi que Jeff Nichols introduit l’image de son fils au sein d’un film se revendiquant précisément du cinéma ayant bercé sa propre enfance. Cette époque bénie où les réalisateurs, plutôt que de privilégier comme aujourd’hui les CGI et les rebondissements grandiloquents, s’en remettaient simplement à la famille et à l’affect, sans pour autant en passer par de trop grosses ficelles tire-larmes.
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Ce choix d’une œuvre plus que jamais épurée de tout ce qui pourrait permettre au spectateur d’embrasser plus en détails les différents cheminements scénaristiques pourra décontenancer quelques fans de Nichols. En clair, il est probable que les aficionados de ses précédents drames psychologiques restent sur leur faim. Mais si l’on y réfléchit bien, cette dimension d’un long métrage se gardant de tout justifier était présente en filigrane dès Shotgun Stories. C’est pourquoi Midnight Special ne fait que poursuivre le travail de l’Américain, à la différence que ce dernier s’immisce un peu plus qu’à l’accoutumée dans le cinéma de genre (après le film catastrophe, entre autres), archétype de premier ordre pour aborder les tourments de la filiation. La recette partage pour le reste plus d’une similitude avec les précédents métrages de Nichols : Michael Shannon, de nouvelles régions des États-Unis (après l’Arkansas, le Kentucky et le Mississippi, les personnages sillonnent cette fois le Texas, la Louisiane, le Mississippi again, l’Alabama et la Floride), mais aussi un même rapport à la nature, qui exsude même lorsqu’à l’image n’apparaissent que la route et autres zones pavillonnaires - façon Terrence Malick. De cette relecture modeste et lyrique des classiques de la SF des années 80, on ressort abasourdi et plus que jamais confiant en la disposition de Nichols à façonner à son gré n’importe quel pan du cinéma américain. Reste la séquence finale - unique scène où les effets spéciaux sont vraiment visibles à part entière -, qui avec ses faux airs d’Abyss (James Cameron, 1989), risque de diviser. Pas suffisant cependant pour remettre en question la fulgurance et l’intensité de ce quatrième opus, tout entier porté par la puissance de ses formes, entre trouble et fascination.
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birulune 11 octobre 2017
Midnight Special : critique du film de science-fiction de Jeff Nichols
La première moitié est cool alors que la deuxième s’essouffle. Prenant et fascinant