Le 13 juin 2020
Une première œuvre impressionnante de sobriété et de force à la fois, qui laisse déjà deviner chez ce jeune réalisateur allemand les promesses d’un grand cinéma psychologique.
- Réalisateur : Hannes Baumgartner
- Acteurs : Max Hubacher, Annina Euling, Sylvie Rohrer, Christophe Sermet
- Genre : Drame, Biopic
- Nationalité : Allemand, Suisse
- Distributeur : Tamasa Distribution
- Durée : 1h32mn
- Titre original : Des Laüfer
- Date de sortie : 24 juin 2020
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Résumé : Jonas Widmer est l’un des meilleurs coureurs de fond en Suisse. Sa grande ambition est de courir le marathon aux Jeux Olympiques. En parallèle, il est cuisinier et s’apprête à emménager avec sa petite amie, Simone. Mais cette vie bien normée, Jonas la conduit méticuleusement et au prix d’efforts surhumains pour ne pas céder aux pulsions meurtrières qui l’envahissent. Incapable d’exprimer sa souffrance émotionnelle, la vie de Jonas se transforme progressivement en un parcours d’endurance pour ne pas sombrer.
Critique : Jonas est beau, immensément beau avec ses yeux très clairs comme un ciel translucide. Il pourrait être un jeune cuisinier ordinaire, passionné de course à pied. Mais sa vie semble habitée par des démons intérieurs où il est question d’un frère suicidé, d’une séparation d’avec ses parents géniteurs, et surtout d’un rapport très troublant au désir et à la mort. La caméra d’Hannes Baumgartner est terriblement efficace. A pas feutrés, sans exubérance, elle montre la lutte que le jeune homme engage contre lui-même, entre le sport, les cauchemars, et le trouble qui s’empare de lui. La mise en scène subtile et précise s’attache à décrire, sans bruit, sans effusion, à travers des regards, des gestes a priori anodins, des suggestions et des sous-entendus narratifs, la mécanique sombre d’un esprit torturé, perdu entre des réminiscences d’enfance, l’opiniâtreté à devenir un grand sportif et l’impossibilité de résister à ses pulsions délinquantes.
- Copyright Tamasa Distribution
La réussite du film s’incarne particulièrement dans la façon dont le comédien, Max Hubacher, habite son personnage. Il fait de ce Jonas à la fois un garçon attachant, sensible, et un monstre incapable de résister à sa folie meurtrière. Pour autant, il ne force jamais le trait. La sobriété de la mise en scène permet au comédien de ne jamais céder aux excès ou au contraire à la fadeur. Le réalisateur ne cherche pas à provoquer l’empathie à l’égard du héros, ou le rejet. Il filme à la façon d’un épidémiologiste, la façon dont le crime s’invite dans le cerveau d’un jeune homme et le pousse à devenir un autre que soi. Il ne condamne pas. Il ne se complaît pas non plus dans ce portrait. Le comédien fait œuvre d’un véritable engagement physique et psychologique dans son rôle. Il lutte contre la fatigue, accomplit les efforts sportifs nécessaires à la vraisemblance du personnage. En même temps, il combat la colère qui aurait pu faire plier Jonas dans la caricature. Midnight Runner est en quelque sorte un film sur la folie et la barbarie ordinaires. La mise en scène ne recherche à fabriquer l’angoisse ou le suspense du thriller. On assiste, impuissant, à la manière des protagonistes qui entourent le héros, à son délabrement psychiatrique.
- Copyright Tamasa Distribution
L’ambiguïté du désir hante de bout en bout le récit. On devine entre les deux frères qui commencent le film, quelque chose qui va au-delà de la fraternité, comme une sorte de désir incestueux fugace. De la même façon, on perçoit entre Jonas et son entraîneur un trouble discret qui vient se jouer dans les échanges de regard, une main posée sur l’épaule. L’ambivalence des désirs culmine dans ce rituel terrible où le jeune homme guette ses victimes chaque soir. Il y a dans ce regard porté sur les femmes qu’il agresse l’expression psychanalytique profonde de l’envie et de la mort à la fois. On sent que le jeune homme est subjugué par le désir sexuel pour ces femmes, tout autant qu’il est horrifié par son impossibilité de lutter contre le besoin de les agresser ou les tuer. Une nouvelle fois, Hannes Baumgartner ne force pas l’explication. Il observe et laisse le spectateur se forger sa propre compréhension du trouble mental qui envahit le héros, jusqu’à cette fin ouverte où le destin du garçon est laissé en suspens.
- Copyright Tamasa Distribution
Voilà un premier film de cinéma particulièrement audacieux et intéressant. Le cinéaste choisit délibérément la sobriété des moyens techniques et le dénuement apparent de la mise en scène pour donner corps à son personnage, dans la toute puissance des démons qui l’envahissent. L’écriture, la photographie sont très soignées et donnent au film une dimension quasi romanesque. Il semble même que le comédien Max Hubacher se soit fondu dans le regard de son metteur en scène, comme si, soudain, le cinéma devenait le reflet de la monstruosité ordinaire. Stupéfiant et glaçant.
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