Le 12 mai 2021
Dans une langue tout aussi complexe que dépouillée, Andreï Konchalovsky décrit les tourments d’un immense artiste partagé entre sa passion pour Dante, la création, le besoin d’argent et les contingents politiques. Proprement envoûtant.


- Réalisateur : Andrei Konchalovsky
- Acteurs : Alberto Testone, Jakob Diehl, Francesco Gaudiello, Federico Vann
- Genre : Biopic, Drame historique
- Nationalité : Italien, Russe
- Distributeur : UFO Distribution
- Durée : 2h09mn
- Reprise: 19 mai 2021
- Date de sortie : 21 octobre 2020

L'a vu
Veut le voir
Résumé : Michel Ange à travers les moments d’angoisse et d’extase de son génie créatif, tandis que deux familles nobles rivales se disputent sa loyauté.
Critique : Cet homme qui parle seul, au milieu de la montagne enrobée de soleil, c’est l’immense artiste, Michel-Ange. Il est tout à la fois un fou solitaire, un ivrogne désenchanté et un esthète cultivé. Obsédé par l’œuvre de Dante, il récite par cœur des extraits de L’Enfer, se surprenant parfois à des hallucinations visuelles où il rencontre le Diable. Autant enfant qu’adulte émerveillé par la matière de la toile ou du marbre, il se fait dépouiller par sa propre famille, alors que ses désirs insatiables de sculptures le contraignent à dépenser toujours plus d’argent. Alors il se livre malgré ou à cause de lui-même, aux mains des politiques qui s’arrachent sa loyauté, tandis que son existence s’écoule dans des lieux de fortune étreints de pauvreté.
- Copyright UFO Distribution
Le cinéaste fait le choix de montrer l’artiste dans les expressions les plus complexes de sa folie. On le voit finalement peu peindre ou sculpter. Adepte de la procrastination, l’homme lutte contre ses démons intérieurs, tentant de composer avec son propre génie et une époque qui ne le comprend qu’à travers les enjeux de reconnaissance publique qu’inspirent ses œuvres, là où il recherche dans l’art une voie vers la transcendance. Konchalovsky échappe aux poncifs de l’artiste maudit, rongé par la souffrance. Il montre un homme immature, souvent mélancolique, dépassé par l’instrumentalisation politique de son œuvre par le clan des Médicis et celui des Rovere. Figé par son incapacité à se départir des tactiques manipulatoires des uns et des autres, il se perd dans la sidération qui l’empêche d’aller au bout de ses œuvres. Alors, il s’engage dans une folie irrationnelle, signe à la fois de sa candeur juvénile et de son insupportable goût des grandeurs, où il s’agit de faire descendre d’une montagne escarpée un bloc de marbre immense.
- Copyright UFO Distribution
Le long-métrage excelle dans une mise dépouillée et minimaliste. La photographie semble elle-même issue des œuvres picturales de l’époque, jusqu’à parfois imposer dans le décor des panoramas de couleur dont on sait pertinemment qu’il s’agit de peintures. Le cinéaste use de beaucoup de prudence dans ce portrait très contrasté du génie Michel-Ange. Il aborde avec précaution ce qui pourrait être une forme de relation homosexuelle entre lui et ses ouvriers. Mais le scénario ne s’appesantit jamais dans l’excès ou la démonstration. Andrey Konchalovsky laisse les spectateurs composer leur propre représentation de l’artiste. Il ne force jamais le trait de l’homme tourmenté, prenant le risque parfois de le présenter comme un être colérique et instable, ou un type d’une naïveté consternante, loin de l’idée que l’on pourrait se faire de lui quand on pense aux œuvres stupéfiantes qu’il a créées. D’ailleurs, le spectateur n’est pas emporté par la pitié ou la condescendance vis-à-vis de l’artiste. Il regarde cet homme se corrompre lui-même dans le mensonge dans un environnement politique et culturel complexe sans pour autant céder au jugement hâtif.
- Copyright UFO Distribution
La recherche esthétique du long-métrage n’aurait pas cette intensité sans l’interprétation des comédiens, et particulièrement celle d’Alberto Testone. Il incarne un Michel-Ange torturé et désinvolte à la fois. On ressent dans la façon dont le visage se crispe, dans la crasse qui lui couvre le corps, la puissance d’un être écartelé entre son désir de création et la peur de lui-même. Le spectateur ressort de ces deux heures avec l’envie urgente de voyager en Italie pour redécouvrir les œuvres de l’artiste.