Le charme discret de la bourgeoisie
Le 30 juillet 2021
Faussement lisse, vraiment cruel, délicieusement ambigu : l’un des derniers (très) bons films de maître Chabrol.
- Réalisateur : Claude Chabrol
- Acteurs : Isabelle Huppert, Brigitte Catillon, Anna Mouglalis, Jacques Dutronc, Michel Robin, Mathieu Simonet
- Genre : Drame, Policier
- Nationalité : Français, Suisse
- Distributeur : Carlotta Films, MK2 Distribution
- Durée : 1h39mn
- Date télé : 15 mars 2024 21:08
- Chaîne : France 5
- Reprise: 29 septembre 2021
- Date de sortie : 25 octobre 2000
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Critique : Les apparences sont souvent trompeuses, et Claude Chabrol s’est employé à le démontrer, malicieusement, au cours de sa longue et fertile filmographie. Prenez Merci pour le chocolat par exemple : à l’image du breuvage cacaoté et suspect qu’Isabelle Huppert prépare à ses proches énamourés, le film semble se satisfaire d’un calme plat et sans vagues ; mais sous ses airs onctueux, il cache en profondeur quelques substances autrement plus vénéneuses. Le ton est doux, feutré, ostensiblement théâtral (l’action s’y déroule essentiellement dans des intérieurs chics), tant et si bien qu’on aurait vite fait de qualifier Merci pour le chocolat de téléfilm pantouflard (un travers dans lequel Chabrol n’a pas manqué de verser vers la fin de sa carrière, et ce jusque dans les salles obscures). Cependant, dès sa première scène de cérémonie mondaine, le long-métrage nous happe sans qu’on comprenne immédiatement pourquoi ; l’intrigue semble banale, mais on sent constamment qu’il y a anguille sous roche, ambiance qui cloche. C’est que le film, insidieusement captivant, trouve sa source chez un maître du polar américain, Charlotte Armstrong, maintes fois adaptée au cinéma (et notamment par Chabrol lui-même avec La rupture, trente ans auparavant) et dont la matière originale, The Chocolate Cobweb, annonçait plus explicitement la couleur - traduit par un "Merci pour le chocolat" plus poli et, bien évidemment, plus ambivalent. Outre ce titre, subissant une traduction bien compréhensible, le réalisateur du Boucher s’amuse à moduler les noms des personnages ; ceux-ci, dans la grande tradition chabrolienne (et dans le sillage farceur de ses modèles littéraires, Balzac et Simenon), sont porteurs de références ironiques, de double-sens élégants qui ajoutent à notre plaisir (le meilleur exemple demeurant le personnage de Mika Muller, héritière d’une importante... chocolaterie suisse !).
L’ironie, ici discrète mais cinglante, Chabrol en a fait sa spécialité et le prouve une nouvelle fois à travers des dialogues effilés comme des rasoirs et des situations de plus en plus troublantes. Le film commence comme une aimable réunion de famille, subtilement ébranlée par l’intrusion de l’entreprenante Jeanne Pollet (la jolie Anna Mouglalis, dans l’un de ses premiers rôles), qui, en actualisant une drôle d’hypothèse (serait-elle la fille cachée de Polonski, confondue à la maternité avec le falot Guillaume ?), viendra révéler les faux-semblants qui sourdent sous cette bienveillance et cette respectabilité de façade. Le cinéaste avoue avoir voulu traiter de l’idée de la "perversité", et personne n’y échappe, quel que soit le degré d’innocence (supposée) de tous les personnages : meurtre, ambition, désamour, rancœur, jalousie - et même, en creusant un peu (mais pas beaucoup), une pincée d’inceste (ou du moins sa tentation : voir la relation entre Mouglalis et Dutronc, alors que ce dernier, papa débonnaire, semblait être épargné par les flèches de Chabrol). Et à ce petit jeu de la perversité, c’est évidemment le réalisateur qui obtient la palme, précipitant sa famille modèle vers sa perte comme si de rien n’était, avec le détachement glacial du moraliste. Isabelle Huppert, qui signe ici sa sixième collaboration avec Chabrol (lequel est resté fidèle à ses acteurs, qu’il affirmait ne jamais "diriger", préférant leur "donner la direction" et faire confiance à leur instinct), porte cette ambiguïté avec son talent habituel, écrin parfait de cette distance toute théâtrale, presque désincarnée, que le réalisateur adopte pour chacun de ses sujets. Mais "distance" ne signifie pas forcément "figement" et, en dépit de la force tranquille de ses images et de son usage conventionnel du champ-contrechamp, Chabrol trouve souvent un souffle salutaire dans l’usage de la musique : dans cette histoire de chocolatiers et de pianistes, c’est la Marche funèbre de Liszt (un choix pas anodin, on s’en doute) qui donne la cadence et marque le film de son sceau dramatique, apportant à certaines séquences une singulière intensité (le plan final, superbe). Les révélations sentimentalo-policières, distillées avec mesure, peuvent donc se déployer avec le raffinement et la cruauté d’un tapis rouge semé d’épines, favorisés par le charme empoisonné du couple Huppert-Dutronc. Force tranquille, on vous dit. Merci pour le chocolat, et aussi pour le reste, M. Claude.
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