Coquille pleine
Le 8 janvier 2025
En dépit des pelles de pathos qu’il nous déverse aux yeux, Mémoires d’un escargot est incontestablement un beau film.
- Réalisateur : Adam Elliot
- Genre : Drame, Animation
- Nationalité : Australien
- Distributeur : Wild Bunch Distribution
- Durée : 1h34mn
- Titre original : Memoirs of a Snail
- Date de sortie : 15 janvier 2025
- Festival : Festival d’Annecy 2024
L'a vu
Veut le voir
– Festival d’Annecy 2024 : Cristal du long-métrage
Résumé : À la mort de son père, la vie heureuse et marginale de Grace Pudel, collectionneuse d’escargots et passionnée de lecture, vole en éclats. Arrachée à son frère jumeau Gilbert, elle atterrit dans une famille d’accueil à l’autre bout de l’Australie. Suspendue aux lettres de son frère, ignorée par ses tuteurs et harcelée par ses camarades de classe, Grace s’enfonce dans le désespoir. Jusqu’à la rencontre salvatrice avec Pinky, une octogénaire excentrique qui va lui apprendre à aimer la vie et sortir de sa coquille…
Critique : Près de seize ans après le bouleversant Mary et Max, qui obtint le Cristal du long-métrage au Festival d’Annecy de 2009, Adam Elliot récidive en remportant une nouvelle fois cette prestigieuse distinction, avec son second long-métrage, Mémoires d’un escargot.
Au terme de sa projection dans la grande salle du Palais Bonlieu, le public se lève comme un seul homme et applaudit à tout rompre pendant plusieurs minutes. Humble et discret comme il est, le cinéaste australien semble un peu confus, mais les spectateurs, eux, sont déjà conquis.
Il faut dire que Mémoires d’un escargot concentre, en son scénario comme en sa réalisation, toute la puissance créative de son auteur.
- Copyright Arenamedia
Une heure et demie durant, Grace Pudel relit le livre de sa vie et de celle de son frère Gilbert, en compagnie de ses escargots de compagnie : deux existences jonchées de malheurs et de malchance, dignes d’une chanson populaire des années 1930, au cours desquelles Grace et Gilbert affrontent les péripéties avec une remarquable résilience, jusqu’à se libérer de leurs traumas.
Le récit est ainsi construit comme une montagne, franchissant les paliers pathétiques au fur et à mesure de son déroulement, jusqu’à devenir risible, puisque l’humour du film prend précisément sa source dans cette accumulation de pathos – sans compter les frasques et la répartie de Mamie Petit-Doigt (Pinky).
Cette démarche est cependant assumée par Adam Elliot, qui souhaite bousculer les spectateurs. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce parti pris est loin de desservir le travail d’Elliot. Il y a fort à parier que l’histoire n’est pour lui qu’un prétexte à l’exécution minutieuse de l’art de l’animation en volume.
- Copyright Arenamedia
Il suffit de regarder d’autres films d’Adam Elliot pour comprendre que la matière, au sens le plus brut du terme, constitue le cœur de son œuvre. Ce que raconte Mémoires d’un escargot n’a aucune espèce d’importance. C’est la manière de raconter qui importe vraiment.
Tel un marionnettiste de rue, un conteur au coin du feu mettant le ton et mimant les gestes, Elliot laisse apparaître la dimension artisanale de sa mise en scène. Malgré les détails des décors et personnages, on devine leur petite échelle, la main manipulant les corps d’argile, les bruitages ajoutés en post-production comme un filet d’huile sur une salade. Le réalisateur va même jusqu’à mettre en abyme son art, tant il est guidé par une logique de partage avec les spectateurs.
Le message est clair : vous ne regardez pas un simple film d’animation. Vous regardez un film d’animation en volume traditionnel et indépendant, face aux grands studios d’animation hollywoodiens qui ne jurent plus que par les images de synthèse et les scénarios édulcorés pour plaire au plus grand nombre.
À l’heure où même Aardman Animations, studio emblématique de films animés image par image, a cédé aux écrans verts et aux trucages numériques, Mémoires d’un escargot est le spécimen rare d’une espèce cinématographique en voie de disparition.
Entretien avec Adam Elliot
Le lendemain de l’ovation qu’il reçut après la présentation de Mémoires d’un escargot au Festival d’Annecy, nous avons décidé d’aller à la rencontre d’Adam Elliot dans un café de la ville, afin d’en savoir plus sur ce cinéaste singulier.
Comment êtes-vous devenu réalisateur ?
Fondamentalement, je ne voulais pas être réalisateur. Je voulais devenir vétérinaire, mais mes notes ne m’ont pas permis d’intégrer ce cursus. Enfant, j’ai toujours aimé dessiner et je savais que je pourrais développer ma créativité. À vingt-quatre ans, j’ai intégré une école de cinéma et de télévision, mais tout était orienté vers la 2D ou les images de synthèse. Mon père tenait une quincaillerie et un jour, l’un de mes professeurs m’a dit : tu devrais faire de l’animation en volume, car tu as tout ce qu’il te faut dans la quincaillerie de ton père : de la peinture, de la colle des matériaux… et je dois reconnaître que l’animation en volume concentre tout ce que j’adore : j’aime travailler la matière avec mes mains, j’aime raconter des histoires, j’aime ma liberté créative et j’aime avoir le contrôle total sur ce que je crée. D’une certaine manière, je me considère comme le dieu des films que je réalise. Je n’ai jamais vraiment eu de plan de carrière, mais mon rêve est de réaliser une « trilogie de trilogie » : trois courts-métrages, trois moyens-métrages et trois longs-métrages. J’ai déjà réalisé trois courts-métrages, deux moyens-métrages et deux longs-métrages. Il ne me reste donc que deux films à réaliser, un moyen-métrage et un long-métrage. Après ça, je peux mourir tranquille.
Comme dans Mary et Max, votre précédent long-métrage, vous mettez en scène des personnages marginaux. Pour quelle raison aimez-vous tant ce type de personnage ?
J’ai toujours été intéressé par les anti-héros. Lorsque vous regardez mes films, vous voyez bien que mes personnages n’ont jamais un caractère héroïque. Même en tant qu’être humain, j’aime observer les gens. Je suis fasciné par la différence et j’aime mettre en scène des personnages que j’estime peu représentés dans le cinéma d’animation. C’est pourquoi les histoires que je raconte s’inscrivent dans la vie quotidienne, je ne tends jamais vers le fantastique ou la fantasy, mes personnages sont réalistes et tout le monde peut s’identifier à eux.
Les décors de vos films sont, eux, beaucoup moins réalistes que les histoires que vous racontez.
En effet, les décors et même les personnages ont une esthétique très cartoonesque. L’esthétique de mes films est très proche de ce qui se faisait en stop motion il y a trente ans, j’aime l’asymétrie, la disproportion, l’imperfection ; et mon objectif, si je puis dire, est de trouver la perfection dans la perfection. Non seulement la perfection est ennuyeuse, mais surtout elle n’existe pas. Aucun artiste n’est capable de créer l’œuvre parfaite. Il y a des scènes de Mémoires d’un escargot que j’aimerais retourner, des effets sonores que j’aimerais corriger.
- Copyright Arenamedia
Il y a une question que beaucoup de spectateurs risquent de se poser après avoir vu le film : que symbolisent les escargots ? Que signifient-ils ?
Le premier script devait s’intituler Mémoires d’une coccinelle Mais j’ai vite réalisé que Grace, l’anti-héroïne du film, était bien plus proche de l’escargot, car elle est très réservée, très en retrait et se réfugie toujours sous son bonnet, qui est sa coquille de protection. De la même manière, l’intrigue du film est construite de manière cyclique, comme la forme en spirale de la coquille de l’escargot. La métaphore de l’escargot avait donc une portée symbolique beaucoup plus appropriée.
Pourquoi avez-vous écrit une histoire si triste ?
Je pense que tout réalisateur doit en permanence repousser ses propres limites et prendre des risques. Le stop motion est un art dans lequel on peut vite s’ennuyer ; c’est pourquoi, en tant que réalisateur, je suis toujours en quête de nouvelles histoires à raconter. Raconter ce type d’histoire est ma manière de sortir de ma zone de confort quitte à choquer le public. C’est un risque que je prends et il est possible que cela ne fonctionne pas. J’essaye tout de même de trouver le juste équilibre entre comédie et tragédie. Je sais que certaines personnes pourront penser que je vais trop loin. En Australie, par exemple, le film pourrait faire polémique car les Australiens sont très conservateurs et religieux.
Vos films s’adressent-ils à un public particulier ?
Lorsque je fais un film, je le fais pour ma famille, ma mère et mes frères. Je pense que si ma famille aime mes films, alors tout le monde pourra les aimer, le cinéma touche aujourd’hui un public très divers. Je n’ai pas vraiment eu de retour de la part du jeune public, mais nous avons projeté Mémoires d’un escargot hier au cinéma La Turbine et il y avait dans la salle un garçon de quinze ans qui semble l’avoir compris et apprécié. Le film a aussi été montré à des étudiants qui m’ont demandé pourquoi j’intégrais le sexe dans mon œuvre. Et pourquoi pas ? Y a-t-il une règle qui interdise aux films d’animation de traiter la sexualité ? D’ailleurs, Mémoires d’un escargot est mon film qui a la fin la plus heureuse. Grace devait être récompensée après les nombreuses épreuves qu’elle a traversées.
Vous semblez refuser de travailler avec de grands studios d’animation. Pourquoi ?
Je pourrais gagner beaucoup plus d’argent en travaillant pour les studios hollywoodiens, mais je pense que j’aurais beaucoup plus de pression sur les épaules. Les grands studios veulent que leurs films soient de grands succès commerciaux afin de les rentabiliser et vendre des produits dérivés comme des jouets. Leur objectif est de faire de l’argent. Or, je ne m’attends pas à ce que Mémoires d’un escargot soit un succès commercial. Je me souviens que Mary et Max, malgré son succès critique, n’avait pas fait beaucoup d’entrées en salles, même s’il a réussi à trouver un public en France.
Pouvez-vous nous parler de vos futurs projets, maintenant que Mémoires d’un escargot est terminé ?
Je voudrais que mon prochain film soit un road movie. Ce serait intéressant car c’est un type de film qui vous donne beaucoup de possibilités et peut vous emmener dans de nombreuses directions. Mais je veux d’abord terminer la promotion de Mémoires d’un escargot avant de me remettre au travail.
Propos recueillis par Arthur Champilou à Annecy le 11 juin 2024
- Copyright Arenamedia
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.