Le mythe démystifié
Le 3 juillet 2019
Jonas Åkerlund nous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Un temps où les idoles des jeunes pouvaient être des figures transgressives jusqu’à l’extrême. Eh oui, dans les années 90, il n’y avait pas que les boys bands !
- Réalisateur : Jonas Akerlund
- Acteurs : Rory Culkin, Emory Cohen, Jack Kilmer
- Genre : Biopic
- Nationalité : Britannique, Norvégien
- Distributeur : UFO Distribution
- Durée : 1h57mn
- VOD : Sortie uniquement en VOD
- Date de sortie : 20 juin 2019
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Résumé : Dans la Norvège trop paisible au tournant des années 80 et 90, Euronymous fonde le groupe Mayhem et devient l’épicentre de la nouvelle scène black metal norvégienne. Sa rencontre avec Varg Vikernes, l’homme derrière le projet musical Burzum, va précipiter les membres de son cercle dans une surenchère criminelle.
Notre avis : Si le sous-genre du biopic musical est, depuis quelques années, très à la mode dans l’industrie cinématographique américaine, il a évidemment plusieurs fois montré ses limites, en ne parvenant pas à trouver son public au-delà du cercle des amateurs de l’artiste, dont le film retrace le parcours. En s’attaquant à la source de nombreuses polémiques qu’est le groupe Mayhem – polémiques qui ont agité aussi bien le grand public que leurs fans – et en sachant que le Black Metal est, en 2019, une mouvance plus marginale encore qu’elle ne l’était vingt-cinq ans plus tôt, Jonas Åkerlund se lançait un pari difficile. Les choix qui s’offraient à lui étaient les suivants : soit rester très fidèle à l’imaginaire visuel propre au groupe en mettant au point une ode mystique, et certainement hermétique, soit lisser son récit dans une biographie factuelle, au sens le plus encyclopédique du terme.
Autant les genres musicaux sont radicalement différents, autant l’exemple de Straight Outta Compto nous a ainsi prouvé qu’il n’était pas simple de retranscrire à l’écran la violence inhérente à l’émergence d’un mouvement culturel underground, sans en perdre la moelle transgressive. Un autre exemple à noter est celui de Leto, qui se concentrait intelligemment sur les causes sociologiques, justifiant dans la jeunesse un désir de contestation par le biais de la musique. Mais Åkerlund, lui-même ancien membre du groupe de Black Metal Bathory et très connu pour la réalisation de nombreux clips avec des artistes divers et variés (en particulier Rammstein et Madonna), a choisi une troisième voie, pour le moins originale.
- Copyright UFO Distribution
Prenant à contre-pied les conventions classiques du genre, et sans doute plus encore les attentes des fans de Mayhem, le film emprunte des codes et un ton plus proches du teen movie (qui, pour rappel, n’est pas forcément synonyme de comédie), avec -notamment- une narration à la première personne appuyée par l’usage d’une voix off, elle-même chargée d’une certaine mélancolie - on pense notamment à Virgin Suicides ou à Trainspotting. De plus, avant même que ce dispositif subjectif n’apparaisse, un carton précise à l’écran que le film s’inspire « de faits et de mensonges ». Le caractère semi-fictionnel qui se met ainsi en place s’avèrera, par la suite, une parfaite continuité de l’adoption d’un point de vue, celui d’Øystein Aarseth, puisque celui-ci va peu à peu révéler son propre penchant mythomaniaque.
Le film est construit de telle sorte que le spectateur ne sait jamais quels éléments révélés appartiennent à la réalité ou à la légende, qu’Øystein veut créer autour de son alter ego, Euronymous, et du mouvement Black Metal norvégien qu’il prétend avoir créé. Un fan connaissant dans les moindres détails l’historique du personnage saura sans difficulté faire la distinction entre ces deux grilles de lecture, mais se plaira justement à trouver les hommages les plus directs, à commencer par l’usage de la vraie photo du cadavre de Dead. Le spectateur moins aguerri qui se lancera dans le long métrage devra, quant à lui, constamment se poser la question de la véracité des faits exposés. Ainsi, alors que dans Bohemian Rhapsody la fidélité intégrale au véritable parcours du personnage était tronquée par un évident jugement moral des auteurs, dans Lords of Chaos elle est manipulée de façon à adhérer le plus possible au regard de son personnage principal.
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Si le film s’apparente à un teen movie, c’est également dans la caractérisation des personnages. Qu’il s’agisse de Euronymous, Dead ou Varg, ils apparaissent tous comme de jeunes adultes (ils avaient, respectivement, 23, 21 et 18 ans au début du récit), vivant chez leurs parents, mal dans leur peau, et cherchant, chacun à sa façon, à exprimer sa révolte par l’intermédiaire d’un mouvement culturel antisystème. Åkerlund préfère d’ailleurs explorer le profil psychologique particulièrement troublé de ces trois individus plutôt que mettre en valeur leur musique, comme on aurait pu s’attendre de la part d’un réalisateur de clips. L’humour, que l’habile montage permet d’agrémenter, vient d’ailleurs apporter à cette écriture approfondie une légèreté souvent fort bienvenue.
L’excellente performance de chacun des interprètes permet de souligner cette immaturité latente, mais aussi leurs tourments et besoins respectifs, de révolte ou reconnaissance. Le visage poupon de Jack Kilmer, qui prête ses traits à Dead, participe pour beaucoup à cette vision très infantilisante de l’esprit mutin, sur laquelle se sont bâties l’idéologie et l’imagerie propres au Black Metal. Et même si ce regard porté par le réalisateur, qui a pourtant appartenu à cette mouvance, peut sembler méprisant, il est au contraire porteur d’une véritable tendresse, qui rend les scènes les plus violentes véritablement bouleversantes.
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Loin des figures iconiques que la postérité a fait d’eux, les transformant avec le temps en stéréotypes, ces jeunes post-ados désaxés ne sont, ici, au contraire, jamais caricaturés. Leurs doutes, leurs perpétuelles remises en question, mais aussi et surtout leur radicalisation autodestructrice ne permettent jamais au récit de prendre la voie hagiographique à laquelle les biopics musicaux sont trop souvent associés. Ainsi, on pense davantage à Last Days et même aux ados d’Elephant qu’aux habituels clichés de la star du rock. Et bien que l’on nous fasse partager le point de vue d’Øystein, il est difficile d’être tout du long de son côté. Mais encore une fois, il est tout aussi peu aisé de savoir si ses actes les plus marquants n’appartiennent pas uniquement à la version romancée de sa propre vie, comme il veut nous le faire croire.
Au final, la façon qu’a ce film d’alimenter le mythe conçu par son personnage tout en démystifiant celui-ci, aboutit à un agréable résultat, étonnamment bicéphale. Cette antinomie sur laquelle s’est construit ce biopic pas comme les autres, n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle-là même, entre provocation antisociale et recherche du succès, qui a mené Mayhem à son inévitable éclatement. On peut donc affirmer que le choix audacieux de Jonas Åkerlund est une façon particulièrement habile de rendre hommage à des personnes aussi controversées que les fondateurs de ce groupe, qui méritait mieux qu’un film édulcoré.
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Date de sortie : 20 juin 2019, en VOD
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