Le 9 décembre 2020
Le Russe Kirill Serebrennikov capte intelligemment l’inventivité folle et le besoin d’émancipation d’une jeunesse rock de la scène underground soviétique des années 80. Avec énergie et maestria, il livre une œuvre éloquente qui dépasse les canons poussifs du biopic musical.
- Réalisateur : Kirill Serebrennikov
- Acteurs : Filipp Avdeev, Irina Starshenbaum, Teo Yoo, Roman Bilyk
- Genre : Musical
- Nationalité : Russe
- Distributeur : Bac Films, Kinovista
- Durée : 2h06mn
- Date télé : 9 décembre 2020 20:40
- Chaîne : OCS City
- Titre original : Leto
- Date de sortie : 5 décembre 2018
- Festival : Festival de Cannes 2018
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Résumé : Leningrad. Un été du début des années 80. En amont de la Perestroïka, les disques de Lou Reed et de David Bowie s’échangent en contrebande, et une scène rock émerge. Mike et sa femme la belle Natacha rencontrent le jeune Viktor Tsoï. Entourés d’une nouvelle génération de musiciens, ils vont changer le cours du rock’n’roll en Union soviétique.
Critique : En s’ouvrant sur une ascension faite par une échelle de fortune, Leto annonce parfaitement le programme. Le récit qu’il décrit sera, sans réelle surprise, celui d’un success-story, celle de Kino, groupe de rock formé dans la Russie des années 80.
- © 2018 Bac Films - Kinovista. Tous droits réservés.
Lorsque le film s’ouvre, la carrière du groupe est déjà bien établie, avec une séquence en plein concert devant un public qui apparaît lui-même sous l’œil attentif de représentants de l’Etat. Cette entrée permet de contourner les schémas habituels du biopic musical -même si, sur la forme, l’usage du noir et blanc n’est pas sans rappeler Control d’Anton Corbijn. Mais là où nos habitudes de spectateurs nous faisaient attendre une construction basée sur le parcours de Viktor, le leader du groupe, le réalisateur Kirill Serebrennikov emprunte une autre direction. S’écartant de la narration, dans un premier temps, il nous plonge dans l’insouciance d’une jeunesse soviétique fascinée par la musique rock occidentale.
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Lors d’une soirée sur la plage, le groupe fait bloc, tant dans les cadrages que les dialogues qui les rendent fusionnels. Il est alors même difficile d’en discerner un véritable leader. Le collectif prime sur l’individu, selon des préceptes parfaitement marxistes. Et la déstructuration du récit via la mise en scène n’est pas non plus sans rappeler le cinéma russe d’antan. Dès lors, l’on pourrait presque penser que le rock ne s’éloigne des doctrines staliniennes que dans son origine anglo-saxonne.
La scénographie virtuose et rythmée de Serebrennikov cible un individu à part. Un certain Mike, sorte de figure tutélaire idéalisée, qui est érigée en Bob Dylan moscovite, en fantasme trouble dont on ne saura au bout du compte que bien peu de choses. Il est l’élément qui va permettre à Viktor et au film de plonger dans un tourbillon d’énergie revigorante où souffle le vent de la liberté.
C’est finalement le triangle amoureux qui va naître entre Mike et les personnages de sa femme, Natacha, et du jeune Viktor, qui va générer la première intrigue tangible dans ce spectacle encore abstrait. La relation entre Mike et Viktor conduit le long-métrage vers une dramaturgie inévitablement plus narrative. Les autres membres du groupe vont même, peu à peu, être relégués au rang de personnages secondaires, voire de figurants, tandis que Viktor commence à accéder à cette maturité indispensable pour l’ascension vers la gloire.
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La seconde moitié du film, moins punk, plus dandy, se centre sur la connivence entre les deux hommes, et cette façon dont le premier inspire le second jusqu’à le transformer en cette icône qu’il n’a su être par lui-même. Des envolées oniriques et des touches parcimonieuses de couleur donnent du tonus à cet Eté, qui peut par moment perdre du punch de sa première et fascinante première partie. En revanche, elle dévoile les ficelles de Serebrennikov en tant qu’auteur ; il bâtit un schéma narratif similaire à celui de son précédent film, Le Disciple, le rock’n’roll venant y remplacer le christianisme. Tel qu’il le filme, « l’esprit rock » venu de l’Ouest apparaît en effet presque comme un dogme dont Iggy Pop et David Bowie seraient quelques-uns de ses illustres apôtres. La transgression suit de cette façon, des préceptes à respecter mais nécessaires pour se détacher de celles d’un système répressif, où la liberté passe alors par des codes et des modèles à suivre.
Dans son approche d’auteur et de par son énergie communicative, Leto reste jusqu’au bout animé d’un souffle exaltant qui en fait un objet unique dans la représentation de l’URSS traditionnellement dépeinte par l’unique prisme de son régime autoritaire. Et de politique, il en est forcément beaucoup question à Cannes, où le film concourt en lice pour la Palme, au vu du mépris du régime de Poutine pour cet artiste qui dérange : le film en compétition n’a pas pu être accompagné par son réalisateur, puisqu’il était assigné à résidence en Russie.
– Compétition officielle Cannes 2018
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