Le 16 novembre 2024
Inspiré du roman d’Emmanuel Carrère, le portrait que dresse Kirill Serebrennikov d’un poète dandy, clivant et antipathique, est un exercice de cinéma, définitivement débarrassé de tout académisme narratif. Jubilatoire et passionnant.
- Réalisateur : Kirill Serebrennikov
- Acteurs : Sandrine Bonnaire, Ben Whishaw, Corrado Invernizzi, Louis-Do de Lencquesaing, Viktoria Miroshnichenko, Odin Lund Biron, Masha Mashkova, Thomas Arana, Tatyana Vladimirova
- Genre : Biopic, Politique
- Nationalité : Français, Italien
- Distributeur : Pathé Distribution
- Durée : 2h18mn
- Titre original : Limonov, The Ballad of Eddie
- Date de sortie : 4 décembre 2024
- Festival : Festival de Cannes 2024
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– Festival de Cannes 2024 : Sélection officielle, En compétition
Résumé : Tout à la fois militant, révolutionnaire, dandy, voyou, majordome ou sans abri, il fut un poète enragé et belliqueux, un agitateur politique et le romancier de sa propre grandeur. La vie d’Edouard Limonov, comme une trainée de soufre, est un voyage à travers les rues agitées de Moscou et les gratte-ciels de New York, des ruelles de Paris au cœur des geôles de Sibérie pendant la seconde moitié du XXe siècle.
- © Festival de Cannes 2024. Tous droits réservés.
Critique : Eddy Limonov, de son vrai nom Veniaminovitch Savenko, est poète. Il passe ses soirées à déclamer ses œuvres dans un club privé où la bourgeoisie côtoie l’orgueil et la mauvaise foi. Le jeune homme est déjà en colère contre une société russe qu’il juge inadaptée à ses désirs de gloire littéraire. Au moins, s’il ne parvient pas à trouver des personnes prêtes à défendre ses textes et à les faire publier, il y trouve celle qui sera sa première femme, et avec laquelle il va partir à New York à la conquête de la reconnaissance. Une grande partie du film se déroule d’ailleurs dans la mégalopole américaine où le couple trimbale sa misère, l’un vivant d’expédients et d’aide sociale, l’autre en s’exposant à des photographies pornographiques.
- Ben Whishaw
- Crédit : Andrejs Strokins © Wildside, Chapter 2, Pathé Films, Fremantle España, France 3 Cinéma. Tous droits réservés.
Eddy Limonov est un personnage complexe, colérique et impulsif, qui cultive une immense violence contre le monde. Il aurait idéalement toute sa place dans le texte de Molière, « Le Misanthrope », tant il fait montre de monomanie et de détestation du genre humain. La mise en scène de Serebrennikov appuie ce tableau sinistre, dans un environnement urbain très alternatif, en pleine révolution culturelle et artistique. D’ailleurs, on se demande à travers ce portrait polémique, tout en contrastes, si le réalisateur ne parle pas de lui-même et de sa relation complexe à la Russie de Poutine. Toujours est-il que le personnage éminemment romanesque use de tous les abus, préférant l’oisiveté au travail et coulant ses jours dans l’alcool, l’agressivité et l’asociabilité. Les décors très soignés ainsi que le montage, avec parfois des plans-séquences remarquables, accompagnent avec efficacité la théâtralisation d’un écrivain, perdu au milieu de lui-même et de l’empire américain.
La mise en scène témoigne très bien de la fragilité du personnage qui peut se révéler aussi brutal que parfaitement vulnérable. Le récit procède par petites touches de vie que commente une voix off qui récite des extraits des œuvres de Limonov lui-même. On prend conscience que l’écrivain est un fondateur de l’autofiction, tant il n’est pas capable d’écrire sur autre chose que lui-même et sa relation colérique au monde. Par comparaison, on se demande si Serebrennikov n’est pas non plus son propre modèle dans ce personnage lunaire, acariâtre et passionnant. D’ailleurs, le réalisateur sort d’un cinéma assez austère de ces dernières années pour une mise en scène très fantasque et décalée. Le trait de génie de Serebrennikov demeure dans sa capacité à exploser les cadres, dans les tourbillons de décors qui reproduisent un New York créatif et vivant, là où la Russie est regardée comme un modèle rétrograde, pourri de l’intérieur.
- Ben Whishaw
- Crédit : Alexey Fokin © Wildside, Chapter 2, Pathé Films, Fremantle España, France 3 Cinéma. Tous droits réservés.
Limonov, the Ballad est réussi à plus d’un titre. D’abord, c’est un récit où l’on ne s’ennuie jamais. Ensuite, parce que le scénario est très travaillé, grâce sans doute aux conseils avisés de l’écrivain Emmanuel Carrère. On découvre un personnage qui était autant créateur que la propre créature de ses romans. Enfin parce que derrière ce récit biographique, le réalisateur lance une critique acerbe contre les régimes gouvernementaux dans l’Empire des tsars qui, depuis la prise de pouvoir par Lénine au début du XXe siècle, ont éteint toute forme d’idéologie, au seul bénéfice d’une pensée sécuritaire et nationaliste. On ne saura pas si ces skinheads extrémistes conduits par l’écrivain lui-même ne sont pas une représentation de la mécanique du pouvoir à l’œuvre aujourd’hui en Russie. Il faut saluer une fois de plus, dans un film de Serebrennikov, la force des personnages féminins qui s’émancipent autant qu’ils peuvent des abus d’autorité de la gent masculine.
Limonov, the Ballad est un voyage dans l’imaginaire littéraire de la Russie. L’occasion est trop belle à la sortie du film de nous replonger dans l’ouvrage de Carrère et les œuvres du poète lui-même. Serebrennikov fait la démonstration d’un cinéma vivant, dynamique, dont la portée est bien plus politique et universelle qu’on ne voudrait le croire.
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