Plus près de toi mon Dieu
Le 17 mars 2024
Cette subtile radioscopie d’un ado intégriste religieux révèle un cinéaste inspiré. Une agréable surprise.
- Réalisateur : Kirill Serebrennikov
- Acteurs : Petr Skvortsov, Viktoriya Isakova, Svetlana Bragarnik, Anton Vasiliev, Aleksandr Gorchilin
- Genre : Drame, Teen movie
- Nationalité : Russe
- Distributeur : ARP Sélection
- Durée : 1h58mn
- Box-office : 17.400 entrées France 7.764 entrées P.P.
- Titre original : (M)uchenik
- Date de sortie : 23 novembre 2016
- Festival : Festival de Cannes 2016
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Résumé : Venjamin est un adolescent en pleine crise mystique. Il ne jure que par la Bible, qu’il brandit à sa mère, ses potes ou ses professeurs, et vocifère à longueur de journée les versets des Écritures. Elena, une jeune professeure de biologie progressiste et humaniste, devient vite sa cible préférée...
Critique : Kirill Serebrennikov avait déjà réalisé des longs métrages mais celui-ci est le premier à être distribué en France. En Russie, il est également connu pour ses mises en scène de théâtre. Le disciple est d’ailleurs l’adaptation d’une pièce allemande que le cinéaste a modifiée en accentuant la noirceur du protagoniste et en transposant l’action à Kaliningrad, enclave russe située entre la Pologne et Lituanie. Si le matériau théâtral est assumé, le cinéaste insuffle au récit un rythme proprement cinématographique, sans chercher pour autant à « aérer » inutilement l’action, préférant le plan-séquence au montage roublard. Le ton oscille entre la comédie grinçante, qui vire parfois à la farce, et le psychodrame social, en passant par de rares échappées oniriques (le père décédé cloué sur la croix, le fantôme d’un jeune homme assassiné hantant le couloir de l’école), en contraste avec le matérialisme et l’athéisme manifestes du réalisateur. La personnalité effrayante de Venjamin (Pekr Skvortsov, une révélation) est le cœur d’une narration fluide. Beau, charismatique et sûr de lui, le lycéen est choqué que sa mère ait divorcé, que les jeunes filles portent le bikini en cours de natation, que la théorie de l’évolution soit enseignée en sciences naturelles ou l’éducation sexuelle dispensée en classe.
- "Le disciple"
- © 2016 Hype Film / ARP Sélection. Tous droits réservés.
Quand il fréquente le pope, c’est pour lui reprocher son indulgence face aux péchés de l’humanité. Et lorsqu’il se lie avec un camarade infirme secrètement amoureux de lui, c’est pour exercer son ascendant et mettre ses préceptes à l’épreuve. La force du scénario est d’avoir confronté Venjamin à l’enseignante moderne (formidable Victoria Isakova), rationnelle et laïque, tout en montrant les compromissions de l’administration scolaire. Sous couvert de maintien de l’ordre social et de bienveillance, la hiérarchie finira en effet par presque cautionner les indignations de l’intégriste en herbe. Car au-delà de la subtile radioscopie de la névrose spirituelle d’un lycéen, le réalisateur dresse un portrait sans concession d’une certaine société russe, du retour de l’obscurantisme à la persistance des deux vieux démons : l’homophobie et l’antisémitisme. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la photo de Poutine apparaît à plusieurs reprises dans le champ (dans le bureau de la directrice ou la salle des conseils), Serebrennikov jouant de la métaphore, à l’instar d’Andreï Zviaguinstsev dans Leviathan.
- "Le disciple"
- © 2016 Hype Film / ARP Sélection. Tous droits réservés.
« En Russie, la religion est partout. Comme aux États-Unis, les prédicateurs ont envahi les chaînes de télévision. La religion est devenue la seconde idéologie officielle. Elle contrôle les cerveaux de tous. C’est une force trouble, dogmatique […] Les Russes aiment avoir un leader à suivre, plutôt que de réfléchir par eux-mêmes. L’Église est pourtant séparée de l’État. Mais la religion orthodoxe intervient à tous les niveaux de la société : l’armée, les institutions, la culture et surtout l’éducation. Elle décrète ce qui est bon et ce qui est mauvais ». Ces propos du réalisateur pourraient laisser penser à un film au militantisme anticlérical. Il s’agit plutôt d’un brûlot contre les héritiers des « petits pères du peuple » et les Tartuffe en tout genre. L’œuvre trouve ainsi de troublantes résonances avec l’actualité, russe ou américaine certes, mais aussi française... En même temps, Le disciple est universel et prolonge la démarche thématique déployée par d’autres réalisateurs, de Richard Brooks (Elmer Gantry le Charlatan) à Abderrahmane Sissako (Timbuktu). Souhaitons à Kirill Serebrennikov de pouvoir mener à terme ses prochains projets et contourner la censure, tout en maintenant ses exigences artistiques et morales.
– Cannes 2016 Un Certain Regard : Prix François Chalais
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