Le 3 juin 2021
En 2018, sont sortis de l’ombre ces fameux feuillets. On y retrouve de nombreux passages développés ou mis de côté dans les différents tomes de la Recherche. Nathalie Mauriac Dyer s’est plongée dans ces manuscrits et nous décrypte ainsi les origines de l’œuvre. Jean-Yves Tadié rédige une préface qui nous rappelle la genèse de cette entreprise majeure.


- Auteur : Marcel Proust
- Editeur : Gallimard
- Genre : Roman
- Nationalité : Française
- Date de sortie : 1er avril 2021
- Plus d'informations : Le site officiel de l’éditeur

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Résumé : {Les soixante-quinze feuillets et autres manuscrits inédits} regroupe soixante-quinze pages (et même plus en comptant les versos) écrites par Marcel Proust. Un ensemble qui pose les bases de cette histoire qui deviendra le cycle de {A la Recherche du temps perdu}.
Critique : Ces traces archéologiques de la Recherche se divisent en six parties. On y retrouve les premières promenades de l’auteur à Méséglise et Villebon, qui seront intégrés aux livres Le Côté de Guermantes et Du côté de chez Swann, on y lit l’évocation des séjours à la mer, dans une station qui n’est pas encore Balbec, ainsi qu’un aperçu de Venise, entre autres.
Les soixante-quinze feuillets présentent plusieurs versions de certains futurs passages de la Recherche, comme la promenade campagnarde, le drame du coucher, et la célèbre madeleine de Proust, qui n’est encore qu’une tartine grillée. Déjà, le romancier travaille encore et encore sa matière première. Les erreurs sont conservées, même si l’axe choisi est de favoriser la lisibilité du texte. Et voilà pourquoi l’on fait face à plusieurs versions des mêmes moments.
Suivent plusieurs manuscrits inédits, issus de différentes sources, qui complètent cette lecture.
Après une notice explicative, une chronologie précieuse, arrive un gros chapitre de notes qui enrichissent celles des bas de page, déjà riches. On en apprend ainsi énormément sur l’arrière-plan de ces textes, leurs intentions, leurs inspirations.
Par la même occasion, on découvre la vie de l’auteur, nombre de personnages étant inspirés de sa famille et de ses proches. Un mystère se lève et les visages s’éclairent d’un jour nouveau.
Mais finalement, avions-nous besoin de savoir tout cela ? Proust décide de masquer dans ses romans les véritables êtres qui ont inspiré ses héros de fiction. Alors, pourquoi déterrer la vérité ?
Si la vie de l’écrivain est intéressante en soi, si la contextualisation et les allusions au théâtre de Racine ou à d’autres œuvres sont passionnantes, la vérité biographique peut nous sortir du rêve où nous plonge la Recherche.
Voir ces premiers textes nous apprend à quel point l’auteur a ouvragé les phrases, les mots, et en même temps, si on sent le souffle proustien à chaque ligne, à cette étape initiale du projet, on en voit aussi les failles. Pour profiter vraiment de ce livre, il faudra relire les passages correspondants dans la somme achevée (ou en tout cas dans sa version la plus avancée, pour les derniers tomes), se laisser bercer par le rythme des énoncés, et réaliser le chemin parcouru par le romancier depuis ces quelques manuscrits.
Les soixante-quinze feuillets et autres manuscrits inédits plaira à tous ceux qui veulent entrapercevoir les clés potentielles derrière l’œuvre, ainsi qu’aux passionnés qui ont envie de découvrir le travail d’un auteur, des premiers jets jusqu’à la dernière correction. En revanche, si l’on souhaite conserver le mystère intact, ne pas savoir quel être humain de chair et de sang se dissimulerait derrière des caractères inventés, il faut éviter ce livre. Certes, « ici commence à la recherche du temps perdu » comme l’annonce le bandeau rouge de couverture. Mais, en même temps, ici s’achève la magie de l’œuvre proustienne.
380 pages- 21€