Les sœurs bien-aimées / Die geliebten Schwestern - la critique du film

Ménage à trois pré-romantique dans cette sympathique fresque historique traitée sur le mode léger.

L’argument : A la fin du XVIIIe siècle, Caroline von Beulwitz, qui a épousé un homme ennuyeux pour sauver sa famille de la ruine, rencontre avec sa sœur Charlotte von Lengefeld le jeune et bouillonnant Friedrich Schiller. Séduites autant par ce jeune écrivain, dramaturge et penseur, que par ses idées progressistes, propres au courant des Lumières et à l’esprit de Weimar, les deux aristocrates entament en sa compagnie un révolutionnaire ménage à trois. Malgré ce pacte d’amour, la réalité et le temps qui passe effectuent leur travail de sape…
Fiction librement adaptée d’une passion longtemps tenue secrète, ce projet ambitieux de Dominik Graf s’éloigne de l’ostentation du film en costumes. Il s’intéresse plutôt à l’éternel affrontement du cœur et de l’esprit, et décrit, non sans férocité, une époque charnière où le « libéralisme » romantique dissimulait l’avènement de la société bourgeoise.
(Festival du cinéma allemand de Paris, octobre 2014. Extrait du Programme.)

Notre avis : Cinéaste très actif, Dominik Graf (né en 1952) enchaîne à un rythme soutenu les réalisations pour la télévision et le cinéma depuis ses débuts en 1974 avec le court-métrage Carlas Briefe. Sa filmographie dépasse désormais largement les 50 titres. Si c’est indéniablement quelqu’un qui réfléchit sur sa pratique, il perpétue avant tout une figure d’artisan à l’ancienne, mettant son solide métier à l’épreuve des genres les plus divers.
Oeuvrant avec prédilection dans le registre du Krimi, le polar à l’allemande, il a notamment signé plusieurs épisodes de la série multirégionale Tatort ainsi que l’excellent Im Angesicht des Verbrechens /Face au crime (2010, en dix épisodes) mais il est capable aussi de dresser un beau portrait semi-documentaire de sa ville natale en forme de jeu de l’oie urbanistique (München - Geheimnisse einer Stadt , 2000) ou de s’adonner aux joies du film en costumes à gros budget , comme dans Der grüne Kakadu / Le perroquet vert (2006), évocation colorée de la RDA des années 60, ou le plus sombre Das Gelübde / Le voeu (2007), consacré à la rencontre du poète Brentano et de la nonne à stigmates Katharina von Emmerick.
C’est à cette veine historique qu’appartient Die geliebten Schwestern / Les soeurs bien-aimée, que le 19e Festival du cinéma allemand de Paris présentait en première française le 12 octobre 2014 dans une version de 2h50mn (celle sortie en Allemagne quelques semaines plus tôt durant 2h19 mn) et qui a été choisi comme candidat allemand pour concourir à l’Oscar du meilleur film étranger.
Inventant, quasiment de toutes pièces, une histoire d’amour à trois autour de l’écrivain Friedrich Schiller, Graf, qui signe aussi le scénario, a pris soin de bien se documenter sur la période de la fin du XVIIIe siècle, contemporaine de la Révolution Française, et ne néglige pas la reconstitution historique, s’attachant par exemple à décrire avec précision le travail des domestiques ou les nouvelles techniques d’imprimerie de l’époque.

Die geliebten Schwestern - Dominik Graf 2012/2014 - Henriette Confurius, Florian Stetteret Hannah Herzsprung - dpa

Mais, choisissant délibérément le parti du romanesque, il fait preuve par moments d’une espèce de désinvolture, plutôt sympathique d’ailleurs, se permettant notamment quelques anachronismes dans les tournures langagières et recourant parfois à des procédés un brin mécaniques pour obtenir des effets dramatiques convenus (la scène délibérément grotesque où Schiller, lui-même non nageur, se jette à l’eau pour sauver un enfant de la noyade ; quelques cris et gesticulations plus Sturm und Drang que nature). Ne gênent véritablement que les irruptions récurrentes d’accords musicaux redondants, digne d’un mauvais téléfilm, qui alourdissent inutilement les moments d’acmé dramatique et les font sombrer dans une émotion préfabriquée. On ne niera pas par ailleurs qu’une tendance poussée à la psychologie fait frôler plus d’une fois le roman de gare.
Ces réserves étant faites, on appréciera le côté enjoué, allegro, de l’ensemble, qu’une voix off malicieuse (celle de Graf lui-même) met à la distance doucement ironique de la fantaisie sans réelles conséquences et de la spéculation gratuite, ainsi qu’une joie palpable de filmer la beauté de la nature estivale ou automnale et de composer d’éblouissants plans-tableaux (la photo, signée Michael Wiesweg, est un véritable bonheur pour l’oeuil) tout en s’autorisant des éclats de cruauté, ou plutôt de crudité assez réjouissants.

Die geliebten Schwestern - Dominik Graf 2012/2014

L’interprétation est un autre atout du film même si le Schiller de Florian Stetter et la Charlotte de Henriette Confurius, au jeu trop appliqué, restent un peu fades, Hannah Herzsprung réussissant de son côté à donner une certaine envergure au personnage de Caroline.
Les seconds rôles sont presque tous très réussis, en particulier l’irrésistible Maman de Claudia Messner ou l’altière Mme von Stein de Maja Maranow.
Ce sont eux surtout qui donnent du relief à cette vaste fresque un brin trop lisse qui peine à prendre une véritable ampleur mais où le savoir faire ludique de Graf parvient à maintenir l’intérêt au long de ces presque trois heures fort divertissantes.

Die geliebten Schwestern - Dominik Graf 2012/2014