"André avait tout lu, sauf le reste, qui est littérature." Avec Les sentiers délicats, recueil de huit nouvelles, c’est sûr, Eric Holder ne trahira pas celui qui fut le mentor, le grand frère, du héros de L’échappée belle. Tout y est bien calibré, un début pour planter le décor, une vraie chute, la traditionnelle phrase courte, pour que la tentation de poursuivre l’histoire n’effleure à aucun moment l’esprit du lecteur, des jolis paysages, des odeurs oubliées, un thème qui transporte, la route, et une tendance à l’auto-flagellation. Les écrivains ne sont-ils pas des êtres humains comme les autres après tout ? Ils ont, eux aussi, connu les amours mièvres de l’adolescence, abandonné lâchement une femme dans une ville de province, se sont faits tout petit devant une super nana au volant d’une Alfa Romeo, belle et cultivée de surcroît, et en rupture de ban avec son milieu - aristocratique - d’origine. Et puis, comme tout le monde, ça leur arrive de passer à côté d’un vieux saisonnier aux abois, parti, dans la forêt, respirer ses dernières bouffées de vie - une tradition chez les vendangeurs et les vignerons en Bourgogne - ou d’un auteur sans concession qui "fait le taxi dans les Laurentides", tandis que d’autres se corrompent dans un congrès sur l’amour.

Holder cultive l’identification, donc l’émotion, soigne le style avec une réelle élégance, ne questionne pas la forme et ne cherche pas le sens, ou alors aucun qui n’ait déjà été trouvé. Il reste un témoin de son époque et ne succombe pas à la tentation de l’avant-garde. C’est bien ciselé, fluide, émouvant, dans l’air du temps, drôle, légèrement impertinent quand il le faut, mais c’est tout.