Le 19 février 2025


- Scénariste : Théa Rojzman>
- Dessinateur : Tamia Baudouin
- Collection : Aire Libre
- Genre : Adaptation, Historique, enquête
- Editeur : Dupuis
- Famille : BD Franco-belge
- Date de sortie : 24 janvier 2025
Une adaptation inédite d’un article prix Albert Londres, rappelant le travail de mémoire effectué et à produire.
Résumé : Lorsqu’en 1996, la grande reporter Annick Cojean s’intéresse aux témoigngages des rescapés de la Shoah, elle réalise un reportage qui lui vaut le prix Albert Londres. Elle confère avec ce travail une nouvelle dimension à ce travail de mémoire, déjà initié aux Etats-Unis mais sporadiques en France...
Critique : A l’occasion des 80 ans de la libération des camps de concentration, il était normal que le monde de l’édition participe à l’effort de mémoire en éditant ou rééditant des ouvrages en forme de témoignages ou de récits. Les Mémoires de la Shoah se situent entre les deux, puisqu’il s’agit d’une édition originale, en format d’aptation d’un reportage du Monde paru en 1996, écrit Annick Cojean. De fait, la récente sous-collection des éditions Dupuis dédiée aux lauréats des prix Albert Londres avait ainsi un texte à propos de cet anniversaire, et cette adaptation en bande dessinée est une perle rare. En mettant en image un texte si fort, elle permet évidemment aux nouvelles générations de reprendre, de comprendre non pas l’horreur des camps, mais la prison de son souvenir, l’enfermement des victimes, le silence des familles et des sociétés face à cette horreur. Cette retranscription de 1996 fait d’ailleurs relativiser ce devoir de mémoire, qui n’existe de facto que depuis les années 90, car entre se situe une zone noire de presque quarante ans où tous, historiens, gouvernements et culture, ont soigneusement évité le sujet. D’ailleurs, les familles des victimes ont également subi ce refoulement, ce que les générations suivantes ont voulu exorciser, sans oublier les négationnistes et les familles des persécuteurs, car la beauté du reportage d’Annick Cojean repose sur cette dualité, montrant par exemple les réunions des descendants de bourreaux et de victimes. Et, il faut le dire, car c’est le seul espoir, comme Sfar l’a déjà dit, lorsque l’on est en face à face, la haine s’efface tout le temps.
© Dupuis / Baudouin
Si Théa Rojzman a du s’ingénier à placer les morceaux de l’article, tout en conservant la trame du reportage et les hésitations de l’autrice originale, Tamia Baudouin a du elle s’employer à retranscrire une atmosphère mêlant l’horreur vécue par les témoins, les conséquences psychologiques de cette horreur au quotidien des années 90, les traumatismes qu’elle a engendré dans le subconscient des générations suivantes, sans oublier le ressenti d’Annick Cojean face à tant de drames. Ainsi, le dessin qu’elle livre ni violent, ni réaliste, mais d’une horreur artistique, celle d’un Munch et de son cri, avec des formes éthérées, sans être des prisonniers étiques, presque des spectres venus hanter ceux qui restent, ceux qui viennent après eux, dans des paysages qui ne veulent pas ressembler à Auschwitz de 1945 ou à une Allemagne de 1996, prenant le parti de balayer avec le dessin toutes ces émotions et ces trop-pleins plutôt que de rendre compte de lieux et de chiffres, à l’image finalement de ce qu’avait cherché à faire Cojean quand elle écrivait son reportage : livrer une vision imparfaite mais vive, une lumière sur les fumées et les cendres de ce qui avait été le pire de l’humanité.
© Dupuis / Baudouin
Adaptation superbe d’un texte de 1996, lauréat Albert Londres, cette BD permet de voir autrement ce que l’on appelle la mémoire de la Shoah, prenant le parti de l’inscrire au pluriel non pas pour la contester mais pour lui donner autant de formes qu’elle a eu de trajectoires ignobles.
144 pages – 25 €