Le village et ses idiots
Le 22 mars 2024
Une ancienne utopie vire au cauchemar de groupe dans ce film culte du cinéaste néerlandais Alex van Warmerdam, tourné en 1992 et repris en 2012 dans les salles. Un burlesque étrange et malaisant...
- Réalisateur : Alex van Warmerdam
- Acteurs : Henri Garcin, Alex van Warmerdam, Annet Malherbe, Leonard Lucieer
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Néerlandais
- Distributeur : ED Distribution
- Durée : 1h45mn
- Reprise: 26 décembre 2012
- Titre original : De Noorderlingen
- Date de sortie : 13 septembre 1995
- Plus d'informations : Le site du distributeur
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– Année de production : 1992
Résumé : Une femme qui, sur les conseils dʼune statue de Saint-François, se prive de nourriture pour plaire au Seigneur. Un enfant qui, fasciné par la guerre civile au Congo, se déguise en Noir et se fait appeler Lumumba. Un facteur bien indiscret, un garde-chasse myope et stérile, un boucher à l’appétit sexuel débordant qui ne manque pas dʼimagination pour capturer ses proies. Voici quelques éléments dʼune comédie des plus insolites sur la vie des habitants dʼun lotissement perdu, dans le Nord de lʼEurope.
Critique : Le titre évoque un étrange parfum de science-fiction, une histoire de créatures « venues d’ailleurs » qui auraient envahi notre quotidien (ou dont on aurait envahi le leur, au choix). Et s’il n’est aucunement question ici d’aventures galactiques ou de planètes inconnues, Les habitants a pourtant à voir avec la singularité extrême d’un monde, qu’on dirait parachuté d’un autre temps et d’un autre lieu, et qui fonctionne avec ses lois propres. La rue unique qui constitue l’artère vitale – au sens propre ! – de l’ébauche de ville nouvelle qui sert de cadre au film, répond à ce caractère ambivalent de l’utopie fonctionnelle où tout est transparent, ce qui est censé fluidifier les échanges entre les habitants, mais les pousse également dans des logiques de paranoïa et de voyeurisme. Il règne dans le film cette inquiétude permanente de faire quelque chose que quelqu’un, nécessairement, découvrira, que ce soit de visu ou par des signes (la fumée, les traces de pas, etc.). Les habitants esquisse ce que Dogville, plus d’une dizaine d’années plus tard, élèvera au rang de système, sous une autre forme : une communauté fonctionnant sur la base d’une chaîne alimentaire close, où tous se nourrissent du sang et de la chair de tous. Il y a certes, comme dans tout village, au moins un enfant, un idiot, une sainte (presque) vierge et autres figures susceptibles de sauvegarder l’ordre et d’empêcher le groupe de partir à la dérive ; mais l’ensemble reste tout de même perverti de l’intérieur, comme si l’innocence ne pouvait demeurer à l’état pur dans ce laboratoire corrompu de l’utopie.
Film de groupe, davantage que film choral, Les habitants évolue sur un ton et une forme étranges, difficiles à saisir et classer, entre la rigueur burlesque des cadres d’un Tati et un regard parfois quasi documentaire sur des vies individuelles dotées chacune de leur singularité. Alex van Warmerdam – précurseur en ce sens d’un Kaurismäki ou d’un von Trier – expérimente un emploi trouble du studio et du décor naturel, dont les codes se modifient au fur et à mesure que la psychologie collective de la ville évolue. Le personnage le plus important des Habitants est peut-être l’espace, qui conditionne la mentalité du groupe et crée une forme de huis clos organisé selon des règles originales. De manière paradoxale, les espaces faussement « naturels » (la forêt) se révèlent ceux de l’enfermement et de l’intimité, en ce qu’ils sont riches de creux et de recoins obscurs, quand les lieux d’habitation, troués de larges fenêtres et bouchés par le vis-à-vis, sont précisément ceux où l’on peut soi-même observer et être observé.
Dès lors, les événements qui secouent la communauté ont valeur de réelle expérience dans ce laboratoire social et spatial dont nous suivons l’évolution pathologique. Tourné en 1992 mais se déroulant dans les années 1960, sans volonté de reconstitution kitsch ou extrêmement documentée, le film a un caractère un peu intemporel qui le fait flotter dans un no man’s land cinématographique singulier, où il serait temps, aujourd’hui, de recommencer à s’aventurer.
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