Le 17 novembre 2015
Maître de l’absurde, le néerlandais Alex Van Warmerdam pervertit les codes du thriller et du western avec son neuvième film La Peau de Bax, petite perle d’humour noir, qui, derrière son aspect ludique et désopilant, cache une recherche esthétique méticuleuse.
- Réalisateur : Alex van Warmerdam
- Acteurs : Henri Garcin, Alex van Warmerdam, Annet Malherbe, Pierre Bokma, Tom Dewispelaere, Maria Kraakman
- Genre : Comédie, Thriller
- Nationalité : Néerlandais
- Durée : 1h36mn
- Date télé : 8 mars 2017 20:50
- Chaîne : Canal + Cinéma
- Titre original : Schneider vs. Bax
- Date de sortie : 18 novembre 2015
- Festival : L’Étrange Festival 2015, Fifigrot 2015
L'a vu
Veut le voir
-
Le film a été présenté au Reflet Médicis, lors de la La Nuit du Polar Néerlandais, dans le cadre des PariScreenings
Maître de l’absurde, le néerlandais Alex Van Warmerdam pervertit les codes du thriller et du western avec son neuvième film La Peau de Bax, petite perle d’humour noir, qui, derrière son aspect ludique et désopilant, cache une recherche esthétique méticuleuse.
L’argument : Le matin de son anniversaire, Schneider, tueur à gages et père de famille dévoué, est missionné pour abattre Ramon Bax. Écrivain solitaire vivant au milieu des marécages, c’est une cible facile. Schneider accepte, il sera rentré pour dîner. Mais la tâche se révèle plus compliquée que prévue.
Notre avis : Grand Prix Nouveau Genre lors de la XXIe édition de l’Étrange Festival, La Peau de Bax fait suite au brillant Borgman et peut s’avérer être une excellente porte d’entrée pour se plonger dans l’univers d’Alex Van Warmerdam. Après une formation de peintre, Van Warmerdam a connu le succès dès les années 70 dans le milieu du théâtre avec la troupe Hauser Orkater à laquelle participaient déjà ses frères, Marc et Vincent, puis avec la compagnie De Mexicaanse Hond, qui perdure encore à ce jour. Véritable génie de la bande, à la fois scénariste, acteur et metteur en scène, c’est avec le film Voyeur (1986) que son talent de cinéaste sera découvert, confirmé par le succès international des Habitants en 92. Pour lui, le cinéma reste une affaire de famille, et de son premier à son dernier long métrage, on sera surpris de retrouver beaucoup de noms en commun dans les crédits. Son style lui même, à la fois poétique, drôle et surréaliste, le place définitivement à part et dès qu’on a commencé à y prendre goût, on peut y devenir totalement accro. Ses acteurs sont pour lui comme une troupe et un bon nombre de ses habitués sont présents ici : Henri Garcin (Voyeur, Les Habitants, La Robe, Grimm), Annet Malherbe (Voyeur, Les Habitants, La Robe, Le P’tit Tony, Grimm, Les derniers jours d’Emma Blank, Borgman), Tom Dewispelaere (Borgman), Gene Bervoets (Les derniers jours d’Emma Blank, Borgman), Pierre Bokma (Borgman), Eva van de Wijdeven (Les derniers jours d’Emma Blank, Borgman).
© Graniet Films / Potemkine Films
La Peau de Bax, à première vue, pourrait s’inscrire dans une forme très particulière de thrillers qui connaît un grand succès ces derniers temps : le film de nettoyeurs ou de tueurs qui mènent une double vie. Ce genre à la mode (In Bruges, The American, Wanted, The Hitman’s Solitude Before the Shot, Looper, Shooter, Hanna, etc.) semble plus enclin à produire des succès au box office que des chefs-d’œuvre, mais ce qu’en fait Van Warmerdam est bien plus proche des comédies noires et déjantées des frères Coen. Scénariste hors pair, il a la capacité à nous plonger dans des univers et à très vite faire bifurquer l’intrigue vers une grosse farce loufoque. La Peau de Bax n’échappe pas à la règle. Il met en scène deux "nettoyeurs" que tout oppose. Schneider (Tom Dewispelaere) est un père de famille bien installé dans un mode de vie bourgeois. Sa vie est bien réglée et il préserve soigneusement les apparences sur ses activités, avec une femme très tolérante et deux charmantes jeunes filles, qui semblent sortir d’un magazine Ikea sur le bonheur en famille. Son employeur Mertens (Gene Bervoets) lui demande urgemment de liquider Ramon Bax (Alex Van Warmerdam), supposé être un tueur d’enfants. Tant pis si c’est le jour de l’anniversaire de Schneider. Bax, quant à lui, est un écrivain alcoolique et drogué, qui vit dans un bungalow perdu au milieu des marécages et dont la vie est complètement chaotique, avec une famille bien plus dérangée (une fille dépressive, un père libidineux, une petite amie hystérique). Le chaos étant forcément plus intéressant que la norme, c’est dans le monde de Bax que va se dérouler la quasi intégralité du métrage. Ce que Schneider ne sait pas, c’est que cette commande impromptue est en fait un traquenard pour que lui même soit descendu et que ses codes moraux vont être mis à mal avec l’arrivée de Francisca (Maria Kraakman), la fille de Bax.
© Graniet Films / Potemkine Films
Dès les premières minutes du film, les plans vont être cela dit interrompus et mal menés par tout un tas de personnages savoureux (un mac, une prostituée d’âge mur, un vieil obsédé, un rouquin hurleur, une épouse adepte du téléphone et de coups de fil aux moments les moins opportuns, etc.), qui vont donner du fil à retordre à Bax et Schneider. Nous n’en révélons pas plus sur l’intrigue car le cinéma de Van Warmerdam tire son génie des situations imprévues qu’il propose et qui ici s’accumulent afin de créer d’irrépressibles fous rires. Coïncidences, malchances, erreurs de timing, le réalisateur utilise même un vieux ressort du cinéma comique : les portes, et ce qu’elles cachent derrière (toutes les scènes avec Francisca sont désopilantes pour cela). Il ne faut pas oublier que Van Warmerdam a toujours cité Laurel & Hardy comme son influence principale. On en trouve peut-être des restes ici. Inventif de bout en bout, le film reprend aussi un bon nombre d’éléments présents dans ses films antérieurs : la critique de la bourgeoisie, les adultes au comportement infantile (la scène avec Francisca dans les toilettes est un summum), le décor sauvage et naturel, le portrait de l’artiste (avec évidemment le cinéaste dans ce rôle), etc. La Peau de Bax joue aussi avec le spectateur, bouscule nos attentes, mais aussi fait bifurquer nos sympathies. Schneider, au départ plutôt sympathique, se révèle au fur et à mesure implacable, calculateur et terrifiant, alors que Bax passe d’un statut de loser antipathique (il vire sa copine comme une malpropre parce que sa fille déboule) à une figure bien plus humaine, voire héroïque dans sa façon de gérer ses conflits de famille.
© Graniet Films / Potemkine Films
Un autre aspect fort du film est son esthétique, qui a d’ailleurs pu gêner certains dans la salle de par son caractère très pictural, presque conceptuel. N’oublions pas que Van Warmerdam est peintre et qu’il est aussi un génie de la caméra. Regardez avec attention certains angles et vous serez bluffés de comprendre comment il a pu les obtenir. Ce décor de marécages et de roseaux devient le véritable personnage principal du film. Il crée un labyrinthe dans lequel les personnages se perdent et se livrent à une partie de cache-cache. Le cinéaste a aussi fait le choix de tout filmer à la lumière et de faire porter à ses personnages des vêtements aux couleurs claires. Cette dimension chaude et solaire entre en résonance avec les actions, parfois violentes, et la folie du personnage de Francisca jusqu’à un final des plus imprévisible. Les marécages ont toujours été associés aux pulsions et aux émotions réprimées qu’ils font exploser et qu’ils ramènent à la surface. Le cinéaste reprend cette métaphore et en fait, selon ses propres dires, "une étude sur la lumière et l’espace". Dans ces eaux stagnantes, on peut aisément se perdre mais aussi se camoufler, épier sa proie ou préparer l’assaut, et sans crier gare, on se retrouve plongés dans une ambiance proche des westerns d’antan. C’est d’autant plus fort que le film a été tourné aux Pays Bas.
© Graniet Films / Potemkine Films
Aussi divertissant qu’exigeant, quelque part entre le film d’auteur et le film de genre malmené, La Peau de Bax n’a peut-être pas la puissance de Borgman mais il maintient la tension tout du long, joue des incidents pour amener le rire et se révèle techniquement irréprochable. Et c’est toujours un bonheur de se laisser entraîner dans ce monde délirant, où chaque phrase de dialogue est parfaitement bien sentie et où l’hilarité peut émerger des situations les plus tragiques. Van Warmerdam est un manipulateur et c’est ce qu’on aime chez lui, alors pourquoi se priver ?
La chronique vous a plu ? Achetez l'œuvre chez nos partenaires !
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.