Une œuvre insolite et étrange
Le 19 novembre 2013
À la croisée du théâtre de l’absurde, de la comédie loufoque et du thriller, ce film inclassable confirme la démarche originale de son auteur.


- Réalisateur : Alex van Warmerdam
- Acteurs : Jeroen Perceval, Jan Bijvoet, Hadewych Minis
- Genre : Comédie dramatique, Thriller
- Nationalité : Néerlandais
- Distributeur : ARP Sélection
- Durée : 1h53mn
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans
- Date de sortie : 20 novembre 2013
- Festival : Festival de Cannes 2013

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Résumé : Camiel Borgman surgit dans les rues tranquilles d’une banlieue cossue, pour sonner à la porte d’une famille bourgeoise. Qui est-il ? Un rêve, un démon, une allégorie, ou l’incarnation bien réelle de nos peurs ?
- Copyright Angel Films
Critique : On avait un peu perdu de vue Alex van Warmerdam, auteur du film culte Les habitants, et dont Borgman a eu les honneurs de la compétition officielle au Festival de Cannes 2013. Le jury de Steven Spielberg ne lui a pas attribué de prix, en raison sans doute d’une sélection de haute tenue où la concurrence était rude. On retrouve pourtant dans Borgman les qualités d’écriture et de style propres au cinéaste : un cocktail des genres détonant (avant-garde, burlesque, thriller, voire fantastique), une aptitude à mener le spectateur sur de fausses pistes, des plans dignes d’une composition picturale (une morbide dissimulation potagère au fond de l’eau) et, en filigrane, la critique acerbe d’une société bourgeoise étriquée et hypocrite. Le film démarre très fort, qui voit trois hommes armés, dont un prêtre, entamer une chasse à l’homme dans les bois. Borgman, un clochard, est poursuivi et doit quitter sa cachette souterraine, de même que d’autres comparses avec lesquels il forme un réseau complice et insolite. Ressurgi à la surface, il demande à Marina, une élégante riveraine, l’autorisation de prendre un bain. Mais il est vite éjecté et tabassé par un mari jaloux et xénophobe. Ce premier quart d’heure, sans doute le meilleur du film, est caractérisé par un sens du rythme et du mystère impressionnant.
- Copyright Angel Films
Le reste du récit comportera d’autres agréables surprises, l’habileté du scénario consistant à proposer une multiplicité d’hypothèses quant aux intentions de notre homme. Camiel Borgman est-il un inoffensif et subversif clochard, à l’instar de Michel Simon dans Boudu sauvé des eaux ? Ou bien cet ange pasolinien venu séduire toute une famille, tel Terence Stamp dans Théorème ? Vient-il inverser les rapports de classe, comme Dirk Bogarde dans The Servant ? À moins qu’il ne soit qu’un maléfique tueur en série... Alex van Warmerdam a pourtant son univers spécifique et inimitable, et l’humour (noir) pince-sans-rire qui jalonne l’œuvre offre des personnages et des scènes qui resteront gravés longtemps dans la mémoire du spectateur : blonde et lisse nounou danoise révélant des pulsions étranges au contact de faux jardiniers, tueuse à gage plantureuse apte à se faire passer pour une doctoresse, fillette sage comme une image achevant une innocente victime à coup de roche... On l’aura compris : à défaut d’avoir emporté un prix spécial, Borgman mérite la palme du film spécial... Il est dommage que le récit s’enlise plus ou moins par la suite dans la redondance et l’excès de rebondissements. À trop vouloir déployer son imagination débordante, le réalisateur fait perdre un peu de saveur à un film très relevé.