Le 29 avril 2014
Les femmes de Višegrad est le fruit de la rencontre d’une cinéaste bosniaque, Jasmila Žbanić, et d’une actrice et écrivaine australienne, Kym Vercoe. Un film bouleversant, courageux et salutaire.
- Réalisateur : Jasmila Zbanic
- Acteurs : Boris Isakovic, Kym Vercoe, Simon McBurney
- Genre : Drame
- Nationalité : Bosniaque
- Durée : 1h23min
- Titre original : Za one koji ne mogu da govore / For those who can't tell no tales
- Date de sortie : 30 avril 2014
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Les femmes de Višegrad est le fruit de la rencontre d’une cinéaste bosniaque, Jasmila Žbanić, et d’une actrice et écrivaine australienne, Kym Vercoe. Un film bouleversant, courageux et salutaire.
L’argument : Après de magnifiques vacances d’été dans un village de Bosnie, Kym, une touriste australienne, découvre que ce lieu a connu de tragiques évènements au moment de la guerre de Bosnie. Troublée, elle ne peut oublier et décide de retourner sur les lieux pour lever le silence.
©Happiness Distribution
Notre avis : Dans une ville bosniaque enneigée, près d’un pont de pierre aux arches majestueuses, une jeune femme est interpellée avec véhémence par un policier : « Que faites-vous ici ? Pour qui travaillez-vous ? » Et de se retrouver au commissariat... Ce sont les premières images, avant le générique, du film bosniaque For Those Who Can Tell No Tales – dont le titre français est Les Femmes de Višegrad. Devant la caméra, l’actrice et écrivaine australienne Kym Vercoe. Derrière la caméra, la cinéaste bosniaque Jasmila Žbanić, connue notamment par son film Grbavica (Sarajevo, mon amour), qui obtint l’Ours d’or au festival de Berlin, en 2006.
Les Femmes de Višegrad est le fruit d’une belle rencontre entre ces deux femmes. Mais d’abord de l’histoire de Kym Vercoe lors d’un séjour touristique en Bosnie-Herzégovine, puis de son retour six mois plus tard sur les mêmes lieux, au nord-est du pays, à Višegrad. Dès son retour en Australie, Kym Vercoe écrit une pièce de théâtre assez intimiste, Sept Kilomètres au nord-est. La cinéaste Jasmila Žbanić découvre la pièce captée sur DVD. Bouleversée, elle propose à Kym Vercoe de faire un film sur le sujet. Devant la difficulté à réaliser un documentaire sur les lieux même des faits, elles décident, pour ne pas avoir d’ennuis avec les autorités et les habitants, de brouiller les cartes en écrivant une fiction – Kym Vercoe jouant son propre rôle.
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Nous retrouvons donc Kym Vercoe dans cette fiction mentionnant comme date 2011, trois ans après son itinéraire personnel. Sac au dos, Kym est dirigée par Jasmila, caméra à l’épaule. Nous découvrons ainsi les différentes étapes de l’histoire vécue par l’australienne. D’abord, l’atmosphère plutôt joyeuse de Sarajevo et le périple qui la conduit à Višegrad, célèbre lui dit son guide de voyage pour son pont de pierre, construit par le vizir turc Mehmed-Paša Sokolović à la fin du XVIe siècle. Arrivée en plein festival de musique, Kym ne trouve refuge que dans un hôtel, le « Vilina Vlas », situé à sept kilomètres de la ville, que ledit-guide qualifie de « romantique et plein de charme ». Mais par cette nuit pourtant si calme, Kym ne trouve pas le sommeil, elle est inquiète, perturbée, sans trop savoir pourquoi. Revenue à Sidney, elle cherche sur Google pour en savoir plus sur Višegrad et sur l’hôtel où elle a séjourné, si anxieuse. Elle découvre alors avec horreur le massacre perpétré en 1992 par les commandos paramilitaires serbes dirigés par les cousins Milan et Sredoje Lukić. Elle apprend aussi que le fameux hôtel « de charme » avait été en fait, entre 1992 et 1995, l’un des principaux centres de détention et jouait un rôle de première importance dans le nettoyage ethnique de la région bosniaque. L’hôtel si « romantique » avait été également un camp-« bordel » où deux cents femmes musulmanes ont été torturées, violées, tuées par les mêmes monstres…
La rage au ventre et au cœur, Kym revient six mois plus tard sur les lieux, en plein hiver. Elle est la seule touriste dans la ville déserte. Elle veut tout savoir sur cette cité, veut en connaître les moindres recoins. Avec son appareil photo et sa caméra, elle mitraille à un rythme effréné paysages, cimetière, maisons, visite l’école où a étudié Ivo Andrić, auteur du Pont sur la Drina et prix Nobel de littérature en 1961, tente de rentrer en contact avec des habitants qui se murent dans un silence épais ou manifestent une réelle hostilité envers cette femme qui vient de si loin – et pourquoi ? Elle éveille ainsi les soupçons, se fait arrêter et interroger au commissariat par deux policiers quelque peu menaçants. Ils lui font comprendre qu’elle dérange par son comportement et que sans doute elle ferait mieux de déguerpir et de repartir dans son pays de « kangourous ». À Višegrad, on n’aime manifestement pas les gens qui viennent fouiller dans un passé sur lequel personne ne veut revenir. Kym se retrouve enfin libre à l’hôtel Vilina Vlas et, dans une superbe dernière scène, étale sur son lit des fleurs en mémoire des victimes de ces violences sexuelles. En comptant : 1, 2…, 121, 122, 123…, 200.
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Mêlant fiction et documentaire, ce film est un beau voyage dans les tréfonds de la douleur et dans ses non dits. Kym et Jasmila se sont investies courageusement d’un devoir de mémoire en rappelant que les beaux paysages de carte postale et les belles façades des hôtels romantiques peuvent masquer des actes d’une terrifiante barbarie. Et comme l’a fait Amnesty International en 2009, on ne peut que regretter le fait que le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, après avoir rendu justice aux nombreux homicides – Milan Lukić a été condamné à la prison à perpétuité –, ait passé sous silence la souffrance des victimes de violences sexuelles. « Les femmes de Višegrad qui ont été victimes méritent aussi que justice soit faite. Les responsables présumés doivent rendre compte de leurs actes », déclare Amnesty. Alors que les nombreux auteurs de crimes de nature sexuelle continuent, comme le soulignent Jasmila Žbanić et Kim Vercoe, à vivre en toute impunité, voire souvent dans le même quartier que leurs victimes ayant survécu.
En faisant un voyage de « thanatonautes », comme le dit Kym Vercoe en plaisantant, le film a souhaité redonner une voix à ceux qui n’en ont plus et dénoncer ceux qui dénient la dure réalité. Un film qui nous donne l’espoir que même les plus petits actes peuvent changer le monde. Tourné avec peu de moyens, servi par la belle photographie de Christine A. Maier et l’habile montage de Yann Dedet, Les Femmes de Višegrad est un film troublant, courageux et salutaire.
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