Le 29 avril 2014
- Réalisateur : Jasmila Zbanic
- Nationalité : Bosniaque
- Date de sortie : 30 avril 2014
Rencontre avec Jasmila Žbanić, cinéaste bosniaque, pour son dernier film, Les femmes de Višegrad. Un entretien passionnant dans le salon d’un hôtel de Saint-Germain-des-Près. Sortie du film le 30 avril 2014.
©Happiness Distribution
Rencontre avec Jasmila Žbanić, cinéaste bosniaque, pour son dernier film, Les femmes de Višegrad. Un entretien passionnant dans le salon d’un hôtel de Saint-Germain-des-Près. Sortie du film le 30 avril 2014.
aVoir-aLire : Comment est né le film Les femmes de Višegrad ?
Jasmila Žbanić : D’une belle rencontre avec l’actrice et dramaturge australienne Kym Vercoe. Et pour être plus précise de la découverte de la pièce de théâtre Sept kilomètres nord-est que Kym a écrite après ses deux séjours à Višegrad. Une pièce de théâtre que j’ai visionnée grâce à un DVD. Sur les conseils d’un ami, Kym a fait un séjour touristique en Bosnie, lors de l’été 2008. Un séjour qui l’a mené de Sarajevo au nord-est de la Bosnie à Višegrad, une ville qu’elle pensait célèbre uniquement pour son pont sur la Drina, construit au XVIe siècle. Elle ne trouva à Višegrad, lors de son premier séjour, aucune trace de démolition, ni mémorial. Elle pensait que cette ville n’avait pas souffert de la guerre. Ce n’est qu’en revenant en Australie qu’elle découvrit sur internet qu’en 1992, furent assassinées 1757 personnes en ces lieux et que 200 femmes furent violées à l’hôtel Vilina Vlas, où elle avait séjourné et passé une nuit d’insomnie.
C’est alors que vous avez contacté Kym Vercoe…
Effectivement. Je savais moi-même peu de choses sur ce qui s’était passé dans cette région pendant la guerre. J’avais 17 ans au moment des faits. Bouleversée, j’ai immédiatement écrit à Kym en lui disant que je souhaitais faire un film sur le sujet, mais que je n’avais aucun financement. Elle m’a répondu aussitôt en me disant : « Je viens à Sarajevo ». C’était fou, comme tout ce qui s’est passé par la suite !
©Happiness Distribution
Après cette belle rencontre, comment s’est poursuivie votre collaboration ?
Notre projet de départ était un film documentaire. Mais nous avons très vite compris que cela serait impossible et que nous avions besoin d’une approche différente. Que ce que nous voulions exprimer, pour mettre en lumière les aspects métaphoriques et poétiques de cette histoire, devait passer par la fiction. Et que Kym devait jouer son propre rôle. Ce qui n’était pas évident car Kym était une actrice de théâtre et c’était la première fois qu’elle se retrouvait devant une caméra. Nous nous sommes attelées à un scénario précis, à partir de son journal de voyage. Et nous avons fait appel à des acteurs professionnels pour compléter la distribution.
Le tournage a-t-il été difficile ?
Nous avions été prévenus que le tournage pouvait être dangereux et que nous ne serions pas en sécurité à Višegrad. Les personnes qui ont mené la guerre en Bosnie font toujours partie de la police, de la justice, des institutions éducatives et politiques. Mais le film devait se tourner là-bas et nous avons décidé de prendre le risque, en mettant tout en œuvre pour le minimiser. Je savais que j’étais persona non grata car considérée comme « ennemie des Serbes ». Pour brouiller un peu les pistes, un de mes amis de Serbie s’est présenté comme étant le réalisateur. Nous n’avons pas dit aux habitants de Višegrad quel genre de film nous étions en train de réaliser, afin qu’ils ne subissent pas de retombées négatives. Beaucoup de gens ne veulent pas reparler de ces événements. La paix dans les pays d’après-guerre est tout, sauf romantique…
©Happiness Distribution
Comment expliquez-vous le malaise profond de Kym Vercoe lors de son séjour à l’hôtel Vilina Vlas, alors qu’elle n’était ni au courant du nettoyage ethnique opéré dans la ville, ni du viol des deux cent femmes ?
L’atmosphère qui règne à Višegrad est très lourde. L’horreur des crimes de guerre se ressent à chaque pas. Il n’y a quasiment plus de femmes bosniaques musulmanes dans la ville. La population bosniaque est d’ailleurs passée de 63% avant la guerre à 1% aujourd’hui ! Le malaise de Kym, je le comprends car je l’ai également vécu pendant le tournage. Chaque nuit je me réveillais à cause de cauchemars. Le chef monteur français du film, Yann Dedet, a eu la même impression. De même que l’homme de théâtre français, Pascal Rambert, qui est venu présenter sa pièce Clôture de l’amour à Višegrad. Etrange, en effet.
On a tendance à vous considérer comme une cinéaste engagée, qu’en pensez-vous ?
Je considère que les comédies romantiques sont également des œuvres engagées. Tout est engagé. Mon engagement, je l’ai exprimé d’abord en tant que citoyenne. Dans mes précédents films Sarajevo, mon amour et Le choix de Luna, j’avais déjà abordé les thèmes des difficultés de la Bosnie d’après-guerre. Ces thèmes font sans doute partie de mon engagement. Mais je ne souhaite pas en rester là.
Vous avez présenté Les femmes de Višegrad dans des festivals. Comment le film a-t-il été accueilli ?
Il a été présenté pour la première fois en septembre 2013, au festival de Toronto. Kym et moi avons été très heureuses de la façon dont il a été reçu. Il a été sélectionné au festival de San Sebastian, au festival international des films de femmes 2014, à Créteil. Kym s’est rendue au festival du film d’Abu Dhabi en 2013. Je suis allée le présenter au festival de cinéma européen des Arcs, en décembre 2013. Le film y a reçu le prix « Femme de cinéma », qui récompense celles qui font le cinéma européen d’aujourd’hui. Afin de sensibiliser les médias, les professionnels et le grand public aux discriminations dont les femmes peuvent faire l’objet dans l’univers du cinéma.
Et votre engagement va vous mener prochainement où ?
A un film plus léger, grand public.
Une petite récréation…
En quelque sorte. Mon quatrième long-métrage, intitulé Love Island (L’île de l’amour), est actuellement en post-production. Il parle de la sexualité dans le contexte de la société. Je reviendrai ensuite sans doute à des sujets plus graves pour montrer, comme l’a fait Kym Vercoe, que les plus petites actions peuvent changer le monde. Mais j’ai besoin actuellement de passer par cette petite pause récréative.
Propos recueillis le 11 avril 2014
©Happiness Distribution
Galerie Photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.