Le 6 novembre 2019
Derrière une construction apparemment incongrue et un rythme lent, Les enfants d’Isadora constitue un essai lumineux sur la perte d’un enfant et le pouvoir émotionnel de la danse. On en ressort grandi et infiniment apaisé.
- Réalisateur : Damien Manivel
- Acteurs : Agathe Bonitzer, Marika Rizzi, Manon Carpentier, Elsa Wolliaston
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Distributeur : Shellac
- Durée : 1h24mn
- Date de sortie : 20 novembre 2019
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Résumé : Après la mort de ses deux enfants en avril 1913, la danseuse mythique Isadora Duncan a composé un solo intitulé La mère. Dans un geste d’une grande douceur, une mère y caresse et berce une dernière fois son enfant avant de le laisser partir. Un siècle plus tard, quatre femmes font la rencontre de cette danse.
Notre avis : Damien Manivel est d’abord chorégraphe. Le réalisateur se saisit de l’opportunité tragique de la perte par Isadora Ducan de ses deux enfants, de réécrire à travers la danse, le drame de la maternité avortée. Trois temps structurent son film. La première partie met à l’honneur Agathe Bonitzer, qui introduit le long-métrage à partir de la lecture du texte autobiographique de Ducan ; la seconde partie retrace la préparation d’un spectacle entre une jeune danseuse handicapée, Manon Carpentier, et sa chorégraphe, Marika Rizzi ; la troisième partie accompagne enfin une vieille dame venue assister au spectacle, dont on découvre très vite qu’elle-même a perdu son fils. Les trois parties semblent totalement disjointes. D’ailleurs, il n’y a pas d’interactions entre les personnages. Et pourtant, à l’issue du générique final, il se dégage une sorte de cohérence absolument bluffante.
- Copyright Shellac Distribution
En fait, Les enfants d’Isadora demeure la reconstitution dansée du drame inconsolable de la perte d’enfant. Le cinéaste met en danse ou en musique trois impossibilités : celle de la jeune comédienne, Agathe Bonitzer, qui doit lutter contre les résistances de son corps et les partitions écrites par Isadora Ducan elles-mêmes, pour que le livre qu’elle récite devienne une œuvre dansante ; il y a ensuite la chorégraphe italienne, dont les enfants sont partis faire leurs études à l’étranger, qui doit dépasser le handicap mental de sa jeune interprète, pour donner vie au récit de la séparation ; et il y a cette vieille dame, très dépendante, qui traverse la ville avec son corps désarticulé et lourd, pour assister au spectacle de danse qui est en quelque sorte le spectacle de sa propre existence. Damien Manivel accompagne avec beaucoup de pudeur le corps de la dame qui, malgré le poids et la maladie, se dénoue et s’approprie les pas de la grande chorégraphe, Isadora Ducan.
- Copyright Shellac Distribution
Le film est un hymne à une maternité brutalisée, à laquelle la danse permet de retrouver un équilibre et un sens. Si la douleur de l’accident tragique que Ducan a affronté dans sa vie demeure dans chacun des gestes qu’accomplissent les danseurs, il se dégage depuis le vide qui sépare les bras de la danseuse et le corps de l’enfant disparu, une grâce presque sacrée. Le réalisateur fait la démonstration, très pédagogique, du pouvoir transcendant de la création chorégraphique, capable de raconter une histoire qui parle à chacun des spectateurs. Finalement, le réalisateur démystifie un art qu’on attribue très souvent à un public instruit. De plus, le cinéaste donne la voix à des comédiens handicapés ou fragilisés par l’âge, qui permettent définitivement de comprendre que chacun d’entre nous est capable d’appréhender l’art de la danse, à contre-courant total de l’élitisme des conservatoires ou des grands ballets français. En quelque sorte, Damien Manivel donne raison à la vision presque populaire de l’art de la danse tel qu’Isadora Ducan le prônait, réconciliant définitivement l’émotion qui se dégage de nos vies intimes et la beauté du geste sur une scène de théâtre.
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