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Le 5 décembre 2014
Deux documentaires de Werner Herzog ressortent en salle. Plus que des reportages sur la montagne et ses dangers, ce sont des films assez envoûtants qui nous confrontent à notre rapport à la vie et à la mort.
- Réalisateur : Werner Herzog
- Acteurs : Reinhold Messner, Hans Kammerlander
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Allemand
- Durée : 1h15mn
- Date de sortie : 3 décembre 2014
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– Année de réalisation : 1977 (La Soufrière) / 1984 (Gasherbrum)
Deux documentaires de Werner Herzog ressortent en salle. Plus que des reportages sur la montagne et ses dangers, ce sont des films assez envoûtants qui nous confrontent à notre rapport à nos désirs et à la mort.
L’argument : Projection de deux documentaires de Werner Herzog.
La Soufrière : En 1976, Herzog se rend en Guadeloupe alors que le volcan de La Soufrière menace d’entrer en éruption. D’après les sismographes, s’annonce une catastrophe inévitable dont la puissance pourrait être équivalente à celle de cinq bombes atomiques. 75 000 habitants sont alors évacués de Basse-Terre. Herzog part à la rencontre d’une poignée d’habitants qui ont choisi de rester, au péril de leur vie.
Gasherbrum : Les alpinistes Reinhold Messner et Hans Kammerlander, entreprennent l’ascension de deux sommets de l’Himalaya culminant à 8000 mètres, d’une seule traite, sans camp fixe, sans radio ni oxygène. Messner a déjà gravi ces deux sommets, mais les enchaîner ainsi, sans retour au camp de base, serait un exploit inédit.
Notre avis : Il serait un peu abusif de dire qu’on redécouvre ces jours ci Werner Herzog car on n’oublie pas comme ça certains de ses films des années 70 qui ont durablement marqué l’imaginaire cinéphilique. Évoquer Herzog c’est se rappeler avec émotion des images fortes comme la marche dans la brume au flanc des falaises péruviennes au début de Aguirre, la ville envahie par les rats de Nosferatu ou le franchissement d’une colline par un bateau dans Fitzcarraldo. Ce sont autant de scènes exceptionnelles, voire complètement dingues, des choses qu’on ne verra peut-être jamais plus au cinéma. Et puis on ne peut pas évoquer Herzog sans évoquer Klaus Kinski qui habitait totalement ces films emblématiques. C’était son alter ego, il était aussi mégalo que lui mais bien plus azimuthé, voire dangereux. Il est impossible d’oublier son regard halluciné. Depuis on a un peu perdu de vue Herzog. Parfois il réapparaît en pointillés. La dernière fois qu’on avait entendu parler de lui, c’était à l’occasion du remake de Bad Lieutenant avec Nicolas Cage : un film plutôt bien accueilli. C’est ainsi que le temps passe et que sans oublier Herzog on avait presque oublié que c’était un type qui peut avoir du génie. A priori la ressortie en salle de documentaires sur des ascensions de sommets (la Soufrière en Guadeloupe et les deux sommets Gasherbrum dans l’Himalaya) n’avait rien de très excitant à moins d’aimer les reportages d’exploration tels que ceux qu’on voyait à une époque dans Ushuaïa ou d’être un adepte des histoires d’alpinisme (du genre à avoir lu tout Frison Roche ainsi que la bd Le sommet des dieux de Taniguchi). Sauf qu’en fait les deux documentaires sont bien plus que des reportages. On ne peut pas vraiment dire qu’ils brillent par ce qu’ils montrent à voir. Il y a certes des images saisissantes (notamment celles de la ville abandonnée en Guadeloupe) mais elles ne sont pas vraiment exceptionnelles. On a déjà vu plus beau, dans des reportages ou des albums photos. Non ce qui est vraiment frappant ici concerne non pas le cadre mais la façon dont l’être humain s’inscrit dans ce cadre.
- © Potemkine Films
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Les deux documentaires évoquent des vies d’hommes exceptionnels décidés à braver la mort parce qu’ils sentent que c’est la seule façon pour eux d’être eux-mêmes. Non pas qu’ils soient suicidaires, c’est plutôt que paradoxalement ils semblent animés par une pulsion de vie hyper aiguisée qui les pousse à faire face à la nature et à leur propre peur. On a l’impression d’assister à un ballet entre cette pulsion de vie et une pulsion de mort, et encore cela semble assez inexact parce qu’il faudrait plutôt dire que les deux pulsions n’en font qu’une. Nous voilà renvoyés à notre propre rapport au monde, à la vie et à la mort et c’est par cette méditation qu’ils instillent que les documentaires nous envoûtent peu à peu, l’air de rien, sans qu’aucun effet spectaculaire ne soit requis. On se sent engourdi après avoir suivi ces deux histoires.
- © Potemkine Films
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On a souvent reproché à Herzog sa mégalomanie, son attrait pour les figures de surhomme nietzschéen repoussant sans cesse les limites du possible (Aguirre ou le musicien de Fitzcarraldo en sont de parfaits exemples). Dans le documentaire sur le Gasherbrum l’alpiniste Reinhold Messner appartient à cette trempe d’hommes (alors que les habitants qui ne veulent pas quitte l’île sont plus des individus acceptant stoïquement leur sort que des aventuriers). Et évidemment derrière il y a l’idée d’une identification du cinéaste Herzog avec ces hommes là. Se sent-il appartenir à une classe d’êtres supérieurs ? Il a en plus le malheur d’être allemand, ce qui pour certains le rend d’autant plus suspect au regard de l’idéologie passée de son pays (dans les années 70 cette idéologie n’était pas si lointaine que ça, toutes les plaies n’avaient pas été refermées). Dans son Limonov Emmanuel Carrère raconte sa rencontre avec Herzog qu’il vénère et ça ne se passe pas très bien car le cinéaste le prend de haut. S’ensuit une réflexion sur le mépris et l’égalité entre les hommes. En fait cette critique est sans doute en partie fondée car il y a de la mégalomanie chez Herzog mais ce n’est pas aussi simple. Si on prend le documentaire sur la Soufrière par exemple, on peut être impressionné mais on peut aussi tiquer sur les risques pris par Herzog et son équipe pour filmer la catastrophe à venir. Mais ce n’est pas sans ironie qu’Herzog évoque leur attitude face à un événement qui finalement ne se produira jamais. On sent là une réelle prise de distance. Dans le documentaire sur l’ascension du Gasherbrum, il y a une interrogation très intéressante sur ce qui peut pousser un individu à affronter la mort pour accomplir une satisfaction personnelle. On ne sait pas trop si on doit applaudir le héros Reinhold Messner ou alors blâmer sa folie. On peut toujours discuter sur l’intention du cinéaste mais au final les documentaires ne sont pas des films à thèse. Ils ont l’intelligence de placer le spectateur face aux contradictions des êtres humains qu’il voit à l’écran et aussi face à ses propres contradictions. Ils nous mènent sur la voie d’une connaissance de soi. C’est en cela qu’ils nous troublent et nous fascinent.
- © Potemkine Films
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Hegel disait que l’artiste n’a plus de part à son œuvre lorsque cette dernière est terminée car elle devient universelle, il en est dépossédé. C’est pourquoi les critiques sur les intentions d’Herzog sont absurdes. La porte est ouverte, il ne reste plus qu’à accepter l’invitation au voyage proposée, voyage finalement plus intérieur qu’extérieur. Herzog nous traite en adulte, ça change de pas mal de productions qui nous infantilisent et nous assènent des vérités toutes faites.
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