Critique  : Le corps de Leo est retrouvé abandonné sur la berge d’une rivière, entre l’eau et la terre, ses incroyables cheveux noirs, presque bleus, l’enveloppant d’un triste linceul. C’était une fille sans histoire, trop sérieuse, trop discrète, celles dont on ne se dit pas grand-chose à part peut-être qu’elle n’a pas vraiment eu de chance.
Marie Vingras laisse ses quatre narrateurs tourner en rond, leurs souvenirs nourrissant leur compréhension imparfaite d’un présent qui les dépasse. Comme dans Blizzard, elle découpe Les âmes féroces en quatre parties qui chacune laisse la place à l’un des héros, leur point de vue complétant celui des autres. Les indices apparaissent discrètement page après page, dans un passage plein d’ironie ou dans une scène où la mélancolie l’emporte, l’autrice maîtrisant les changements de tons dans ce livre où le vaudeville jaillit parfois de quelques mots, d’une chute ou d’un coup de poing tant attendu vite remplacé par la douleur, par le malheur aussi collant que du mazout, dont certains personnages ne parviennent jamais à se dépêtrer. Décrites avec des détails signifiants et d’autres plus anecdotiques, les scènes relayant les atermoiements des héros sont ici et là entrecoupées de répliques fondues dans le récit, intégrées à la narration, ce qui rend paradoxalement ce livre noir encore plus cinématographique.
L’Amérique de Marie Vingtras, une Française dont la plume ne quitte pas les terres outre-Atlantique, est rurale et bruisse de rumeurs, triste représentation de la bassesse humaine, aussi triste et sinistre que jubilatoire.