Le 6 septembre 2021
Ce film encore méconnu, en apparence éloigné de l’univers de Melville, est une adaptation littéraire inspirée. Il est porté par deux interprètes éblouissants.
- Réalisateur : Jean-Pierre Melville
- Acteurs : Emmanuelle Riva, Jean-Paul Belmondo, Irène Tunc, Marc Eyraud, Nicole Mirel, Gisèle Grimm
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Distributeur : Tamasa Distribution , Lux Compagnie Cinématographique de France
- Durée : 2h10mn
- Date télé : 22 avril 2024 22:40
- Chaîne : OCS Géants
- Reprise: 25 octobre 2017
- Box-office : 1.702.860 entrées France / 328.651 entrées Paris Périphérie
- Date de sortie : 22 septembre 1961
- Festival : Festival de Venise 1961
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Durant l’Occupation, dans une ville de province, la jeune veuve de guerre d’un juif communiste, mère d’une fillette, défie un prêtre, l’abbé Morin, sur le terrain de la religion. Certaine de sa rhétorique, elle est pourtant déconcertée par les réponses qu’il lui donne. Peu à peu, elle perd pied. Chaque nouvelle rencontre avec ce prêtre la rapprochera de la conversion. Sa résistance cédera devant le travail de la grâce. Une amie lui ouvrira involontairement les yeux sur l’une des raisons de sa conversion : l’abbé Morin est beau.
Critique : Produit par Georges de Beauregard et Carlo Ponti, Léon Morin, prêtre pourrait a priori sembler éloigné de l’univers de Jean-Pierre Melville, davantage connu pour ses polars hiératiques et stylisés (Le cercle rouge). Il n’en est rien. D’une part, le cinéaste a longtemps attendu l’opportunité de porter à l’écran le roman de Béatrix Beck, Prix Goncourt 1954, et dont il a entièrement conçu l’adaptation. D’autre part, le film fait la liaison avec deux de ses œuvres ayant pour cadre la France sous l’Occupation, à savoir Le silence de la mer (d’après Vercors) (1947), et L’armée des ombres (1969), adapté de Joseph Kessel. Au premier, Léon Morin, prêtre emprunte une photo noir et blanc sobre (à nouveau signée Henri Decae), l’usage de la voix off (procédé récurrent à maintes adaptations littéraires), et le thème de l’opiniâtreté des personnages : à la résistance intérieure du vieil homme et de la nièce du Silence de la mer répond l’obstination de Léon Morin, qui ne cède pas aux avances de Barny, tout en refusant d’abandonner sa bienveillance, persistant dans sa volonté d’échange théologique. Quant aux liens avec L’armée des ombres, il est plus ouvertement historique et politique, même si ce n’est pas la thématique principale du film.
On remarquera juste que l’héroïsme des résistants n’est pas abordé en tant que tel. Le film préfère évoquer la complexité d’une période trouble de l’Histoire : la jeune secrétaire collabo (Irène Tunc), présentée comme un personnage immonde et mesquin, témoignera de l’humanité au fil du récit ; les soldats américains libérateurs se livrent sans gêne à un harcèlement sexuel, et les vieilles villageoises bien sous tous rapports se délectent du défilé des femmes tondues. Mais quelle que soit la réussite du portrait de ces figures secondaires au récit, Melville souhaite développer un autre aspect. Car il met surtout en lumière le rapport entre deux êtres que tout semble séparer. Il faut dire que le matériau littéraire de Béatrix Beck est de haute tenue ; et même si l’écrivaine n’a pas participé à l’adaptation, ses qualités d’écriture et sa subtilité dans l’étude psychologique éclatent avec netteté dans la narration. Barny est d’ailleurs un peu son double, même si l’on ne saurait parler de véritable autobiographie. Foncièrement athée et idéologiquement hostile au fait religieux, la jeune femme voit ses convictions brisées au contact du jeune prêtre, pour qui la rencontre avec cette brebis égarée est révélatrice de sa mission. Quant au sentiment véritable qu’il éprouve pour elle, le scénario comme la mise en scène sont suffisamment subtils pour distiller un doute dans le public.
« Léon Morin est mon frère, absolument ; il dit ce que je pense, et je dis souvent ce qu’il pense, quand bien même son Dieu n’est pour moi qu’un phénomène physique, chimique, dû au hasard… », avait déclaré Jean-Pierre Melville. Alternant dialogues très fleuris et silences suggestifs, privilégiant les plans sur des objets furtifs mais révélateurs (couteau de cuisine, hache), Melville est ici proche de Bresson (sans sa radicalité). Ce n’est pas pour rien qu’il était admiré, au même titre que Franju et Astruc, par les jeunes Turcs de la Nouvelle Vague, alors au sommet du cinéma français. Nouvelle Vague qui avait révélé les deux interprètes principaux : deux ans après Hiroshima, mon amour, Emmanuelle Riva déployait à nouveau grâce et sensibilité, trouvant (avec Thérèse Desqueyroux) son meilleur rôle des années 60 ; un an après À bout de souffle, Jean-Paul Belmondo cassait son image de voyou romantique et gouailleur, et adoptait avec aisance un registre plus sobre. Le roman de Béatrice Beck fera l’objet d’une autre adaptation, La confession, réalisée en 2017 par Nicolas Boukhrief, avec Romain Duris et Marine Vacth. La version de Melville a quant à elle été restaurée par la cinémathèque de Bologne à l’initiative de Studio Canal en 2015, avec le soutien du CNC.
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.