Ni Dieu ni maître
Le 10 novembre 2012
Un huis clos étouffant au cœur d’un char pendant la guerre qui opposa le Liban et Israël en 1982. Brillant.
- Réalisateur : Samuel Maoz
- Acteurs : Oshri Cohen, Itay Tiran, Yoav Donat
- Genre : Drame, Film de guerre
- Nationalité : Israélien
- Date de sortie : 3 février 2010
- Festival : Festival de Venise 2009
– Durée : 1h32mn
Un huis clos étouffant au cœur d’un char pendant la guerre qui opposa le Liban et Israël en 1982. Brillant.
L’argument : "Je venais d’avoir 19 ans en mai 1982. La vie était belle. J’étais amoureux. Ensuite on m’a demandé de partir sur une base militaire et d’être le tireur du premier tank à traverser la frontière libanaise. Cela devait être une mission d’une journée toute simple mais ce fut une journée en enfer. Je n’avais jamais tué quelqu’un avant cette terrible journée. Je suis devenu une vraie machine à tuer. Quelque chose là-bas est mort en moi. Sortir ce tank de ma tête m’a pris plus de 20 ans. C’est mon histoire."
Notre avis : Il aura fallu 25 ans à Samuel Maoz pour réaliser Lebanon. 25 ans pour témoigner de ce qu’a été la guerre qui opposa le Liban et Israël en 1982 et mettre en scène sa propre histoire. 25 ans pour pouvoir exprimer cette douleur, cette déchirure qui ne l’a pas quitté. A l’époque, il n’avait pas vingt ans et il avait été désigné pour être tireur dans un char. Il s’était jusque là entraîné à tirer sur des bidons. Rien de comparable à « la guerre en vrai », avec de « vrais » hommes. La question de la mise en scène des sentiments pour témoigner de la guerre s’est manifestement et évidemment posée au cinéaste. Comment être original tout en conservant un aspect documentaire et authentique, en ne trahissant pas le récit de sa propre expérience ? Samuel Maoz a trouvé la réponse en filmant la guerre, sa guerre, depuis l’intérieur d’un char : ce conflit, il ne l’a pas vu de l’extérieur, il l’a ressenti de l’intérieur.
- © CTV International
Dans Lebanon, il n’est pas question de politique mais d’être humains et de personnalités. Les jeunes soldats ne savent surement pas vraiment pourquoi ils se battent ; ils doivent obéir aux ordres. Or, ceux-ci leur imposent de détruire tout ce qui s’oppose à eux, tout ce qui leur fait face sans différencier les biens matériels des hommes. Tirer et tuer sur des anonymes à l’existence pourtant bien réelle, qui ne sont pas plus responsables de ce conflit qu’eux ; voilà la mission qui incombe à l’équipe du char. Taraudés par ces questions morales, conscients qu’il y aura un avant et un après cette expédition, les soldats hésitent, souffrent d’être obligés d’agir, de ne pas avoir le choix de partir. Samuel Maoz filme leurs réactions au plus près, par de gros, très gros plans sur leurs visages, mais également leurs dos, leurs torses qui, tout à coup, bien que musclés, semblent se rétracter : ces hommes sont bien fragiles au milieu de cette guerre sans nom.
Les corps sont la matière première de ce long-métrage. Lebanon est une œuvre sensuelle au sens propre : un film où tous les organes sensoriels sont mise à l’épreuve - ceux des personnages, des acteurs mais aussi ceux du spectateur. La transpiration coule sur les visages des soldats et leurs chemises trempées. On devine sans peine leur suffocation dans cet espace confiné et sans aération. Les odeurs - de sueur, d’urine, - sont perceptibles, trahissant la peur. Ces hommes sont dans une trop grande proximité les empêchant à la fois de prendre du recul ou, au contraire, d’établir un lien plus intime avec l’un ou l’autre de leurs compagnons d’infortune. Le corps de l’autre, dans toute sa matérialité, est une réalité plus que jamais palpable et pourtant souligne la solitude de chacun.
- © CTV International
Les soldats ont un chef dur, qui donne des ordres sans arrêt, violemment, décidé à mener cette guerre. L’homme n’est pas insensible, il est au contraire parfaitement conscient des risques qu’il fait prendre à ses soldats, mais il ne peut accepter que son équipe abandonne son poste : elle doit se battre pour son patrie quel qu’en soit le prix, la violence, l’injustice ou même l’absurdité de leur mission. Le chef est le seul qui ne soit pas dans le char, ne rejoignant que ponctuellement sa troupe dans l’habitacle. Les soldats ne perçoivent la réalité des combats, de la destruction qu’à travers l’objectif déformé du viseur. Le son des rafales est assourdi par les épaisses parois métalliques du char. Le bruit des bottes du supérieur claquant directement sur l’engin les ramènent à une captation sensible du conflit. Samuel Maoz offre des champ-contre-champ singuliers, d’une force émotionnelle crispante : le tireur assiste à des scènes d’une violence inouïe - scènes dont son équipe est responsable puisqu’elle a lancé l’assaut ; il croise hasardeusement le regard de ses victimes... En quelques plans, tout est dit. Sans jamais excuser, le cinéaste rappelle que l’on ne peut sortir indemne de ces conflits et que l’étendue des victimes est bilatérale.
- © CTV International
Lebanon s’ouvre et se clôture sur un champ de tournesols. Au cœur d’une guerre sans répit, qui broie les hommes, la nature prend le dessus et offre un havre de calme et de paix inattendu. Amplement mérité, le Lion d’Or de la 66ème Mostra de Venise est une œuvre brillante qui hante et perturbe durablement. Chapeau bas.
- © CTV International
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Norman06 21 mars 2010
Lebanon - La critique
Huis-clos de guerre, étouffant et saisissant. Un sommet du genre et du cinéma israélien, qui n’a pas volé son Lion d’or à Venise.