Flashback
Le 26 février 2004
Malicieuse, lucide, émouvante, une fresque du XXe siècle, témoignage remarquable de l’engagement de l’un de ses plus grands écrivains.
- Auteur : Doris Lessing
- Editeur : Flammarion
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Anglaise
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C’est pour ne pas faire de peine à certaines personnes "vulnérables" que Doris Lessing n’écrira pas le dernier tome de ses mémoires [1]. Elle nous livre, en guise de contrepartie si l’on peut dire, un roman. S’il n’est pas littéralement autobiographique, Le rêve le plus doux a pour personnage principal une Frances Lennox qui, à bien des égards, ressemble à l’auteure comme deux gouttes d’eau, fidèle reflet de son engagement personnel, à l’image de l’Anna du Carnet d’or [2] ou de la Martha Quest du cycle des Enfants de la violence [3], ses œuvres les plus emblématiques. À quatre-vingts ans passés, la grande dame des lettres anglaises fait preuve d’une extraordinaire vitalité. Disons même qu’on la soupçonne de s’être amusée comme une petite folle à tordre le cou à ses vieux démons, à asséner quelques vérités bien senties et à mettre définitivement les pendules à l’heure au sujet de son féminisme.
Mettant en scène trois générations de femmes, Le rêve le plus doux traverse tout un siècle d’Histoire en prenant pour pivot les années soixante. Celles de l’effondrement de valeurs jusqu’alors immuables. Dans ce climat, Frances et sa belle-mère Julia se battent pour la petite coterie de jeunes gens en rupture de ban, amis et amies des deux fils de la famille, venus squatter la grande maison londonienne des Lennox. Parfois dépassées mais toujours sur le pont, elles cherchent à aplanir les obstacles, le pire étant peut être Johnny Lennox, ex-mari de Frances, idéologue du PC britannique, férocement portraituré par Doris Lessing qui s’y connaît en la matière.
Mais quel est ce rêve que Lessing qualifie de "plus doux" ? Ni plus ni moins que celui de changer le monde auquel elle répond par un constat brutal : les idéologies sont vouées à l’échec ; le goût du pouvoir tout autant que l’orgueil sabotent les entreprises les plus généreuses. Voir à ce sujet ses pages d’une terrifiante lucidité sur l’effroyable gâchis qui a succédé à l’indépendance d’un pays africain fictif, la Zimlie (qui ressemble trait pour trait à la Rhodésie où l’auteur a passé ses jeunes années). Mais avec Lessing, rien n’est jamais tranché et surtout pas manichéen. Toujours remarquable d’intelligence, elle analyse avec acuité les rapports humains et teinte son pessimisme de compassion et d’humour. Au bout du compte, nous dit-elle, on fait de son mieux. (Fidèle à elle même, elle nous glisse au passage que les femmes, plus clairvoyantes, font probablement un petit peu mieux que les hommes.) On fait de son mieux comme elle l’a fait sa vie durant et comme elle le raconte dans ce long regard en arrière, gros roman dialogué avec entrain et éclatant de vie, d’un seul tenant, sans respiration ni chapitrage, à l’image du temps qui nous est donné, qui file et qu’on ne rattrape pas. Mais qui vaut tellement d’être vécu... à condition de trouver, et surtout de donner, un peu d’amour.
Doris Lessing, Le rêve le plus doux (The sweetest dream, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Isabelle D. Philippe), Flammarion, 2004, 485 pages, 22 €
[1] Les deux premiers tomes des mémoires de Doris Lessing, Dans ma peau (1919-49) et La marche dans l’ombre (1949-1962) sont disponibles en Livre de poche (6,40 et 7,50 €)
[2] Publié en Grande-Bretagne en 1962, The golden notebook, chef-d’œuvre de Doris Lessing, l’un des plus grands romans du XXe siècle, a été traduit en France (par Marianne Véron) en 1962 et édité chez Albin Michel
[3] Trois tomes publiés chez Albin Michel entre 1978 et 1981 et traduits également par Marianne Véron
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