Le 4 juin 2021
Derrière ce récit de procès d’un guérisseur par la justice tchèque, Agnieszka Holland condamne toutes les formes de totalitarisme et d’intolérance et donne la voix à l’universalité. Un film à ne rater sous aucun prétexte.
- Réalisateur : Agnieszka Holland
- Acteurs : Jaroslava Pokorná, Ivan Trojan, Josef Trojan, Juraj Loj
- Genre : Drame, Historique, Drame historique
- Nationalité : Polonais, Islandais, Tchèque, Slovaque
- Distributeur : KMBO
- Durée : 1h58mn
- Titre original : Charlatan
- Date de sortie : 30 juin 2021
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Résumé : Dès son plus jeune âge, Jan Mikolášek se passionne pour les plantes et leurs vertus médicinales. Il devient l’un des plus grands guérisseurs de son époque. Dans la tourmente de la guerre et des crises du XXe siècle, il consacre sa vie à soigner sans distinction les riches comme les pauvres, les Allemands nazis sous l’Occupation comme les fonctionnaires communistes d’après-guerre. Sa popularité finira par irriter les pouvoirs politiques. Accusé de charlatanisme, Mikolášek doit alors prouver le bien-fondé de sa science lors de son procès.
Critique : Un homme agonise. Le souffle est hésitant, profond, et la douleur traumatise le visage tout entier. Cet homme pourrait être un patient parmi les autres, il s’agit en réalité du président communiste tchèque que l’herboriste et guérisseur, Jan Mikolášek, tentait de soigner. Voilà près de trente ou quarante ans que ce prétendu guérisseur exerce dans sa vaste demeure, aux côtés de son assistant, František Palko, infiniment dévoué à la cause de son employeur. Les foules se pressent derrière la grille de la demeure, chacun armé d’une fiole d’urine à travers laquelle l’herboriste devine la pathologie dont souffre le patient. Il se garde bien de corriger à chaque fois les malades quand ils le nomment "docteur". Car ce n’est pas un scientifique comme les autres. Il a fait valider son expérience au sein d’une université, certes, mais son expertise relève essentiellement de l’intuition et de la psychologie somatique, ce qui ne dit rien d’ailleurs de son immense talent à identifier l’état du patient et donner les onguents adaptés à leur souffrance.
- Copyright Marlene Film Production
Agnieszka Holland revient au cinéma avec ce grand long métrage, Le procès de l’herboriste, après s’être attaquée au non moins grand film L’Ombre de Staline. La réalisatrice récidive avec un morceau d’Histoire dont l’enjeu essentiel est de décrypter le rapport de nos sociétés contemporaines au radicalisme politique. L’artiste règle ses comptes avec les ravages du communisme et du fascisme qui ont défiguré le monde, et dont on pressent qu’elle-même en garde des cicatrices profondes. Pourtant, la mise en scène s’applique à une esthétique très soignée. En aucun cas, le récit ne verse dans le sensationnalisme ou l’excès revisité par nos yeux contemporains. Chaque plan, chaque pan des décors, chaque accessoire, et surtout la façon dont le chef opérateur pose sa caméra, trahissent la volonté de donner vie à une histoire qui prenne le parti de la beauté avant tout. Le personnage de František Palko en est la parfaite illustration. Le jeune homme, lorsqu’il sollicite le poste d’assistant, illumine l’écran de sensualité et de liberté. On pressent, dès les premières minutes de la rencontre, que derrière la grande Histoire, se cache le récit d’un amour à venir, qui enchantera et détruira à la fois le destin de Jan Mikolášek.
- Copyright Marlene Film Production
Agnieszka Holland insuffle à ce drame historique, une dimension romanesque puissante et généreuse. Si on assiste à l’enquête à charge par la police contre Mikolášek, le vrai intérêt du film se situe dans la façon dont est déroulé le passé de l’homme. On découvre un personnage complexe, hanté par des démons inavouables, prêt aussi à toutes les trahisons pour sauver sa peau. Il illustre finalement le fameux triangle de Karpman, où l’herboriste s’incarne autant dans la peau de la victime de la barbarie nazie ou communiste, du persécuteur manipulateur et égoïste, du sauveur de la veuve et de l’orphelin. Son lien avec Palko représente particulièrement le pire et le meilleur dont il est capable pour parvenir à ses fins. Holland fuit donc le manichéisme et la facilité narrative. Elle prend le temps de visiter l’être humain dans ce qu’il le constitue, au plus profond de lui. Elle ne prend jamais son spectateur en otage, lui laissant au contraire la place du juge qui décidera ou pas de sa condamnation.
- Copyright Marlene Film Production
Le film offre un débat d’une très grande actualité. La question des traitements alternatifs, des lobbies médicaux face aux nouvelles formes de médecine, la place que l’Etat entend prendre pour arbitrer la légitimité scientifique des soins, continuent de parcourir nos sociétés modernes. Volontairement, l’image du long métrage est grisée, à la limite parfois du noir et blanc, comme pour indiquer que ce récit d’hier pourrait être celui d’aujourd’hui. Le peuple est le plus maltraité au milieu de ces enjeux. Il revendique l’accès à ces soins non officiels. De plus, sa fureur à gagner l’éternité et à ne plus mourir génère les tentations politiques extrêmes, gangrénées par l’ambition de tout contrôler et de priver les gens de leur liberté. On ressent la colère de la réalisatrice, sa voix intérieure qui nous rappellent que nos sociétés modernes européennes ne sont pas à l’abri de céder au populisme et aux dictatures en tout genre. Alors, elle opte pour le souffle romanesque que la musique rythme d’un bout à l’autre du film, comme pour échapper à ses propres angoisses. Elle choisit de dessiner des personnages tragiques, contraints par leurs propres contradictions et qui peuvent verser si facilement dans l’intempérance, la passion et la trahison. Les seuls finalement à ne jamais succomber à ces démons sont les petites gens, les enfants malades, les veuves dont la survie dépend des mains magiques de l’herboriste.
- Copyright Marlene Film Production
Voilà donc un immense film qui couronne la carrière d’Agnieszka Holland. La cinéaste donne à son art un souffle, une respiration, une intuition qui concourent à son besoin d’un monde plus juste, plus démocratique et plus soucieux des personnes discriminées ou vulnérables. Plus qu’une cinéaste, cela fait d’elle un grand témoin de notre siècle.
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