Le 6 février 2024
Œuvre éprouvante, Green Border laisse le spectateur subir l’efficacité de ses images. Une mise en lumière importante mais bien trop impudique.
- Réalisateur : Agnieszka Holland
- Acteurs : Maja Ostaszewska, Jalal Altawil, Behi Djanati Ataï, Mohamad Al Rashi, Dalia Naous, Tomasz Wlosok
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Français, Polonais, Belge, Tchèque
- Distributeur : Condor Distribution
- Durée : 2h32mn
- Titre original : Zielona granica
- Date de sortie : 7 février 2024
- Festival : Festival de Venise 2023
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– Mostra de Venise 2023 : Prix spécial du jury
Résumé : Ayant fui la guerre, une famille syrienne entreprend un éprouvant périple pour rejoindre la Suède. À la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, synonyme d’entrée dans l’Europe, ils se retrouvent embourbés avec des dizaines d’autres familles, dans une zone marécageuse, à la merci de militaires aux méthodes violentes. Ils réalisent peu à peu qu’ils sont les otages malgré eux d’une situation qui les dépasse, où chacun - garde-frontières, activistes humanitaires, population locale - tente de jouer sa partition...
Critique : Auréolé d’un Prix spécial du jury lors de la dernière Mostra de Venise, le nouveau film d’Agnieszka Holland propose une expérience éprouvante autour des flux migratoires d’une famille syrienne aux portes de l’Europe.
Alertée comme tout un chacun par le sordide héritage des guerres et des crises européennes qui ont jalonné le XXe siècle, la réalisatrice polonaise tisse une fresque mosaïque en questionnant comment les pires mécanismes humains qui ont mené aux génocides, aux guerres géopolitiques et à une xénophobie grandissante, trouvent aujourd’hui encore une actualité brûlante et désespérante.
- Copyright Agata Kubis / Piffl Medien
Si le propos, au fond, fait appel chez le spectateur à une prise de conscience individuelle et collective face au racisme, la démarche de Holland peine à trouver une vie durable par-delà les effets de manche de sa mise en scène coup de poing. L’empathie que la cinéaste entend arracher à tout prix aux spectateurs impuissants ne renvoie jamais à la question morale des images, dont l’efficacité indiscutable laisse vite place à une nausée contre-productive.
À l’évidence, la colère qui se cache derrière le film est le fruit d’une réflexion sincère, et qui se voudrait de la plus pure éthique humaine en se protégeant de tout discours théorique : ne garder que la rage et le sentiment d’impuissance pour justement faire éprouver le monde face à une situation alarmante. Et si le film permet d’ouvrir le regard sur une réalité en effet trop peu connue et mise en lumière, l’accumulation de saynètes sordides finit par avoir raison du film en tant qu’œuvre cinématographique. Avec des moyens techniques aboutis, Green Border se transforme vite en très long tract humanitaire, tout en ne cherchant jamais à sortir le regard des conventions de représentation ; par exemple, le garde-frontière qui soudain prend conscience de l’horreur après en avoir été le bourreau, est une sorte d’image d’Épinal de la résilience et de la bonté. Sans que l’on sache bien pourquoi, chaque personnage qui rentre en scène (l’amie de la famille, l’activiste…), devient le pion d’un rôle assigné, mettant en perspective les différents enjeux de l’échiquier géopolitique et humain sous la forme d’une thèse déclamatoire et emphatique.
- Copyright Agata Kubis / Piffl Medien
Formellement, l’assignation d’une horreur au N&B renvoie nécessairement à l’inconscient collectif de traumas historiques déjà nourris de vieilles images, d’anciens documents ; une familiarité sordide avec ce qui a déjà eu lieu. Mais les mouvements d’appareils un peu trop virtuoses, le travail très cru sur le son, les effets de montage, tout mène à faire exploser la cocotte sous nos yeux de manière malaisante, comme si le film cherchait toujours à ancrer sa forme dans une modernité tape-à-l’œil qui nous rappelle « aujourd’hui » .
C’est finalement la valeur et le problème du film tout à la fois ; son efficacité laisse des traces émotionnelles parce que tout est montré sans pudeur, en nous prenant le visage entre les mains pour bien regarder droit dans les yeux. Naturellement, le revers de la médaille de cette technique du bain froid, c’est que l’expérience ne stimule jamais l’intelligence émotionnelle et la réflexion, et que le film devient désagréable et ambigu à force de ne jamais trouver le juste espace entre ne pas chercher à plaire, et appuyer sur la corde sensible. L’indignation que suscite Green Border n’est probablement pas à la hauteur de son sujet, et ne fait que reculer le débat politique vers une forme de convention et d’énumération, tout en ayant le mérite de nous informer sur l’existence d’un génocide à l’Est, au moment où la guerre entre la Russie et l’Ukraine tonne toujours plus fort.
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