Le procès de Henry Kissinger

Un documentaire accablant contre l’ancien secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger. Captivant mais frustrant.

Le 11 septembre 2001 la presse américaine annonçait que Henry Kissinger, le plus célèbre diplomate américain du XXe siècle, prix Nobel de la paix en 1973, faisait l’objet à Washington d’une plainte pour l’assassinat en 1970 du chef de l’armée chilienne René Schneider, qui s’était refusé à déclencher un coup d’Etat contre le président Salvador Allende. Ironie du sort, c’est le jour même de la mort en quelques heures de plusieurs centaines de civils américains que la justice tentait pour la première fois de rattraper Kissinger, cerveau de la politique étrangère des Etats-Unis de 1968 au début des années 90. Pourtant il y a peu de risques que Kissinger, accusé d’être un criminel de guerre par ses détracteurs, ait un jour à rendre des comptes à la justice internationale, le gouvernement américain ayant refusé de reconnaître l’autorité du tribunal de La Haye.

Si Kissinger a pris des dispositions pour que ses archives ne soient rendues publiques qu’au moins cinq après sa mort, il n’est pourtant pas assuré d’une retraite paisible. En se basant sur un livre incendiaire, intitulé Crimes de Henry Kissinger et écrit par Christopher Hitchens, un journaliste britannique, les réalisateurs Eugene Jarecki et Alex Gibney accablent à leur tour, en images, l’ancien secrétaire d’Etat. Ils l’accusent notamment d’avoir été directement impliqué dans le coup d’Etat au Chili et le meurtre de Salvador Allende, d’avoir saboté les pourparlers de Paris en 1968 pour la paix au Vietnam afin de faciliter la victoire de Nixon aux élections, d’avoir organisé secrètement le bombardement du Cambodge en 1969, et d’avoir apporté son soutien au massacre de 100 000 Timorais par le Président Suharto en 1975.

Les accusations très graves portées dans ce documentaire à l’encontre de Kissinger sont étayées par des témoignages solides de ses anciens collaborateurs. L’investigation menée par les journalistes est méthodique et implacable. Elle met, de façon percutante, en évidence le machiavélisme d’un des hommes les plus influents de l’échiquier mondial des années 70.

Pourtant, il reste un goût de trop peu à la fin de ce documentaire. On aimerait en savoir plus sur cet homme fascinant, dont les multiples facettes, notamment ses origines juives allemandes ou encore son goût prononcé pour les femmes et les paillettes, ne sont qu’à peine évoquées. En outre, on s’interroge sur l’objectif d’une enquête qui, en concentrant ses charges sur un homme, disculpe, en un sens, le reste de l’administration américaine. Il semble que l’enquête de Christopher Hitchens offre des réponses plus exhaustives à ces questions. Et on finit par se demander si, en définitive, l’objectif principal de ce film n’est pas de nous faire acheter le livre.