Rencontre du troisième type
Le 3 septembre 2019
Focus, à Quiberon, sur une pièce de théâtre pas comme les autres donnée à même un bateau échoué sur la plage. Beau voyage nocturne entre Hemingway et Saint-Exupéry.
- Acteurs : Erwan Marjo, François Leclerc
- Durée : 0h20mn
- Metteur en scène : Enora Evanno
- Genre : Théâtre (spectacles)
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Durant l’été 2019, la Compagnie des Voiles a interprété « Le Marin et la Lune », pièce de théâtre (de plage) jouée à la nuit tombée depuis un petit voilier. Tenant lieu de décor, le bateau s’est échoué sur les sables de Bretagne au gré des vents, à la rencontre des spectateurs...
Résumé : "Au-delà des limites du port en pierre
Au-delà de la baie
Bien au-delà du phare noir et blanc
Au-delà des îles couvertes d’oiseaux
Loin des côtes
Au milieu de l’eau, un bateau
A son bord, un marin-pêcheur solitaire."
Il est 22h en cette fin de mois d’août sur la plage de Saint-Pierre Quiberon. Bien qu’à marée basse, la mer laisse entendre ses quelques vagues ensommeillées caresser la grève. À cette heure où s’estompent les dernières lueurs du crépuscule, se devine tout juste au loin, en contrebas, la silhouette d’un petit voilier biquille posé confortablement sur le sable. Baptisé « Phoque », ce Westerly Centaur de 1974 ne sortirait pas de l’ordinaire s’il n’était ce soir-là le théâtre d’une pièce intitulée Le Marin et la Lune. Peu à peu nimbé par l’obscurité, le vaisseau disparaît quelques instants, avant qu’une lumière rouge délicieusement lugubre ne l’ôte de la nuit. Sur le pont, vont et viennent par intermittence les comédiens Erwan Marjo et François Leclerc. Il s’agit pour eux de régler les derniers détails techniques avant la représentation. À 22h30, badauds comme spectateurs avisés sont au rendez-vous et le spectacle commence.
Objet poétique composite, Le Marin et la Lune se présente comme le récit initiatique d’un vieux loup de mer par une nuit de pêche sous la pleine lune : l’histoire peut-être d’une rencontre avec soi-même et avec l’altérité, entre réminiscences, ivresse et vertige du réel. Dialoguée quand il est question d’illustrer son protagoniste central (interprété par Erwan Marjo), mimée lorsque surviennent des péripéties plus burlesques ou métaphysiques, mise en musique (tendre clarinette, guitare langoureuse...), cette fable universelle convoque autant les codes du cinéma muet que ceux du clown de théâtre. Qu’importe le spectateur, adulte ou bambin, spécialiste ou profane, la gesticulation onirique à laquelle il assiste s’avère délectable et contagieuse. C’est que le minuscule espace de la scène-décor, dopé par une pantomime d’orfèvre, ouvre sur un imaginaire infini. Il suffit d’un jeu d’ombre derrière une voile, de l’irruption d’une forme étrangère se dessinant dans le noir (François Leclerc, présence mystique d’un soir), de ce mélange entre sentiments profonds et espièglerie, pour susciter l’émotion et ou le rire. Ne pas se laisser tromper par son intrigue succincte ou ses rebondissements minimalistes, car ici « l’essentiel est invisible pour les yeux », dixit Antoine de Saint-Exupéry. Difficile d’ailleurs de ne pas songer à la précision cosmique ou à l’allégorie de son « Petit Prince ».
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Pour autant, Le Marin et la Lune ne recherche pas la perfection ou l’accomplissement. Sa mise en scène en clair-obscur et bleutée, tout en demeurant complexe et mystérieuse, ne cache pas sa nature bricolée, presque spontanée. Elle invite au contraire, par essence, le spectateur à regarder par-delà le miroir, là où persistent délibérément quelques indices de sa conception. Un peu comme si en restant subtilement apparentes, telles une mise en abyme, les coutures se voulaient une manière de partage avec l’audience d’une nuit. Parce que le jeu et la fantaisie ne servent ici jamais à masquer sinon à rassembler. En cela, la résolution philosophique voire politique de son récit – parabole universelle mettant au jour le retour du refoulé : la peur de l’étranger dans sa multiplicité, qu’il soit être, chose ou concept – ne fait pas de doute. Admirable façon du reste d’aborder l’éternelle problématique de l’intercompréhension à l’heure où les réfugiés, se heurtant aux replis identitaires, continuent de périr dans les flots. Symbolisée avec grâce, jamais surlignée, la richesse thématique de cette pièce néanmoins se fait fort de toujours rester à hauteur d’enfant, de ramener à la surface quelque candeur oubliée. Si quelques modèles phares de communions avec la nature nous viennent bien en tête (« Le Vieil Homme et la mer », bien sûr, « Moby Dick », et tout particulièrement « Vendredi ou les limbes du Pacifique », dont on retrouve la trivialité et quelque chose de tellurique), se dégagent également quelques gags superbes au lyrisme bigarré digne parfois d’un Ed Wood ou par extension d’un Burton première période. Autant d’univers où cohabitent en creux les larmes de l’innocence et une douce excentricité.
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Devant ce projet fou de bateau-spectacle écumant les plages de la Bretagne Sud au gré des vents et marées, presque impossible pour un cinéphile de ne pas se rappeler Fitzcarraldo et le cinéma de Werner Herzog. C’est que Le Marin et la Lune partage avec le film et son cinéaste un même désir fondamental de donner chair au rêve. Dans Fitzcarraldo, le héros va jusqu’à racheter un vieux navire pour remonter l’Amazone et construire un opéra en pleine jungle péruvienne où viendrait entre autres se produire le célébrissime ténor Enrico Caruso. Le bateau lui-même finira dans le long métrage par faire office de scène. S’il n’est pas question pour Erwan Marjo et François Leclerc de faire gravir une colline à un vapeur de 300 tonnes pour rejoindre un affluent de l’Amazone et ainsi matérialiser leur aspiration, se joue également pour eux une même ode au rêve. Il ne s’agit pas d’une ambition mégalomane inconsciente comme celle de Fitzgerald, le personnage d’Herzog joué par Kinski, mais au contraire d’un hymne à la bienveillance. Un poème fabuleux où la quête initiatique du loup de mer se télescope en filigrane avec celle de ses interprètes. De cette expérience contemplative et aérienne, le badaud repart transi de songes et d’espérance.
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- "Phoque"
Tous les lieux d’escale de la Compagnie des Voiles
Participation libre, au chapeau (métamorphosé pour l’occasion en botte de marin).
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