Disloquée. Momifiée. Expulsée du "nous". Devenir "je" lui est impossible. Vide et solitude consument sa vie depuis le départ en forme de fuite de l’aimé.

Pour venger cette trahison, annihiler ce passé de vie à deux qu’elle croyait une symbiose, elle se choisit des hommes - quinze a-t-elle décidé, comme les quinze ans passés avec celui qui l’a quittée. Des hommes qu’elle mène à son lit. Une heure pour le premier, deux heures pour le second et ainsi de suite jusqu’au septième... Cérémonie expiatoire. Puis elle parle, fouille dans les jours enfuis, "moud une farine noire dont elle va pimenter sa sauce à la torture". Souvenirs de tous les dangers, tentatives de résister aux assauts de la pensée. Lorsqu’une vie ne contient que du vide, du rien, à quoi bon rester vivante ?

Distillée en mots de feu et de sang, la longue incantation de cette femme. L’homme écoute. L’homme comprend. Les paroles destructrices sauront-elles devenir des paroles rédemptrices ? Baissera-t-elle la garde ?

Dans une prose d’une violence bouleversante, Anne Bragance fouille les ravages de l’absence, du passé irrémédiablement anéanti, et creuse à mains nues dans la désespérance d’une femme qui a perdu toute estime d’elle-même. Un récit d’une intensité insoutenable et d’une poésie foudroyante, pur comme un diamant noir.