Le 15 janvier 2006
Werth observe au jour le jour les grands et les petits événements de la Seconde Guerre mondiale. Une certaine idée de la France et de la virilité démocratique.
Isolé ou presque dans sa campagne jurassienne, Werth observe au jour le jour les grands et les petits événements de la Seconde Guerre mondiale. Une certaine idée de la France et de la virilité démocratique chère à Thomas Mann.
Léon Werth n’a jamais su transiger avec la justice. Même au nom du maintien de l’ordre et encore moins au nom de l’ordre nouveau instauré par Pétain et Laval après l’exode de juin 1940. Cette débâcle historique l’a conduit à se réfugier dans la campagne jurassienne [1]. Pour survivre. Survivre parce que juif et âgé, il ne peut guère faire plus sinon lire, fumer, attendre et tenir un journal. Extraits d’articles de presse, réflexions personnelles, brefs comptes-rendus de lectures, souvenirs, rêves et morceaux choisis de paroles quotidiennes relevées chez les paysans du coin ou chez des érudits, il flaire l’air d’un temps où certaines consciences sont plongées dans l’abîme. Anticipant chaque étape de la guerre, la nature de la collaboration façon Vichy ou la place que De Gaulle prendra dans l’Histoire, il le flaire remarquablement.
Déposition montre à quel point l’information réussissait à circuler. Peut-être était-il difficile de prendre conscience de l’ampleur des atrocités mais, pour le reste, aucune excuse pour ceux qui ont cru préserver l’essentiel grâce à la politique du pire. De l’agriculteur à l’intellectuel, tous étaient suffisamment armés et libres, au moins jusqu’en 1941, pour ne pas se taire ou accepter l’inacceptable. Werth donne ainsi tort à Gary qui pensait qu’il fallait être né à l’étranger pour aimer la France dans toute sa grandeur. France de Voltaire, Stendhal et Michelet, des Lumières, des libertins et de la raison, laïque et universaliste, internationaliste et patriote, cette France-là ne pouvait pas souhaiter la victoire de l’Allemagne. Werth le prouve, elle a existé et elle n’a pas été muette même si elle n’a pas été forcément résistante. On comprend dès lors la haine et l’intransigeance face à tous ceux qui se sont compromis avec l’occupant ou avec Vichy.
Outre un regard posé sur le monde depuis son village, sur la fin d’une époque où les élites se distinguaient par une certaine idée de la culture ou sur l’avenir avec une position intenable dans les colonies, Werth pose aussi un regard sur lui-même. Sans qu’elle soit complète, sa solitude l’a conduit à se tourner vers les livres, de Saint-Simon aux romans policiers. Une expérience de l’attente, de l’ennui, qui présage de ce que sera l’esthétique des années qui suivront la Libération. Théâtre de l’absurde, nouveau roman, c’est d’expériences comme la sienne que sont nées ces écritures nouvelles. Werth ne les atteint pas, trop intégré durant sa vie dans la société, elles ne peuvent que lui être étrangères. Néanmoins, il y a dans ces lignes une expérience de ce temps, de cette monotonie, qui berce une existence jusqu’à effacer toute trace d’enthousiasme. Un temps qui le dépasse parfois.
Léon Werth, Déposition, journal 1940-1944, éd. Viviane Hamy, 736 pages, 25,80 €
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.