Les illusions perdues
Le 1er juin 2005
En plein cœur de la guerre visant à asseoir Joseph Bonaparte sur le trône d’Espagne, un jeune officier des hussards pétri d’idéaux grandioses et de rêves de gloire se heurte à la pathétique réalité des combats. Un court roman bouleversant au parfum d’universalité.


- Auteur : Arturo Pérez-Reverte
- Editeur : Editions du Seuil
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Espagnole

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Le Seuil nous offre enfin le premier roman d’Arturo Pérez-Reverte, l’auteur, entre autres, de deux remarquables romans, Le tableau du maître flamand et Le maître d’escrime, dont les querelles avec son précédent éditeur nous avaient jusque-là privés.
Andalousie, 1808. Frédérick Glüntz est un jeune officier frais émoulu de l’école militaire, incorporé au prestigieux corps des hussards napoléoniens, et fier d’apporter aux terres barbares les beaux idéaux républicains. Pétri d’idées neuves et avide de bravoure, comment pourrait-il comprendre la farouche détermination avec laquelle les Espagnols résistent à ceux qui leur offrent la liberté et le progrès à la force des baïonnettes ?
Les thèmes de la désillusion, de la fragilité des idéaux, et de la jeunesse sacrifiée sont plus que classiques en littérature, ils sont récurrents. Mais ils sont rarement abordés avec une telle justesse. Ici, ils s’incarnent à travers le regard fougueux d’un jeune homme au sabre "vierge de sang comme il l’était de corps". Frédéric est intelligent. Illusionné, certes, rêvant d’une gloire de pacotille, et sottement téméraire sans doute... Mais pas complètement aveugle. Il sait ouvrir les yeux à la réalité, et les oreilles à d’autres discours. Au fur et à mesure de son parcours dans cette terre étrangère, ses croyances s’ébranlent, ses certitudes se fissurent, mais rien ne le fera renoncer. Le besoin de rêves, de défis, et de grandeur... La foi en des valeurs qui ont permis à un fils de marchands de nouer une amitié virile avec un descendant de haute noblesse au charme tout monarchique... Le regard des autres, de ces courageux compagnons qui risquent leur vie à ses côtés. Cette foi est la plus forte. Et c’est dans la boue, le sang et la pourriture que ses espoirs rendront les dernières armes.
C’est le récit d’une journée. Un petit moment dans la courte vie d’un jeune homme. Débutant dans le calme d’une veille de bataille, puis d’une marche à peine agrémentée de quelques escarmouches, on atteint progressivement la violence aveugle d’un affrontement qui va de cris de joie en sourde terreur. Le calme, la plénitude presque, reviennent alors dans ce champ de bataille dévasté, imbibé de sang, de déjections et transpirant la peur... Où les survivants redevenus hommes, donc presque bêtes, ne luttent plus que pour la vie. C’est la "victoire", telle qu’Arturo Pérez-Reverte la conçoit : barbare, cruelle, désenchantée et pitoyable. Avec une justesse de ton rarement égalée, l’auteur dresse un portrait tristement universel de la jeunesse sacrifiée aux idéaux, et sait nous attacher à son pathétique héros, comme pour mieux nous assommer de sa déchéance.
Arturo Pérez-Reverte, Le hussard (El husar, traduit de l’espagnol par François Maspero), Seuil, 2005, 192 pages, 19 €