Le "ça" artistique
Le 11 juillet 2015
Dans un univers coloré, absurde et psychédélique, Antoine Barraud livre une étude complexe et approfondie de l’artiste, dans son rapport direct à l’art et à l’acte de création. Saisissant.
- Réalisateur : Antoine Barraud
- Acteurs : Pascal Greggory, Géraldine Pailhas, Jeanne Balibar, Isild Le Besco, Valérie Dréville, Nathalie Boutefeu, Joana Preiss, Alex Descas, Nicolas Maury
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français
- Durée : 2h7mn
- Titre original : Le Dos Rouge
- Date de sortie : 22 avril 2015
L'a vu
Veut le voir
Dans un univers coloré, absurde et psychédélique, Antoine Barraud livre une étude complexe et approfondie de l’artiste, dans son rapport direct à l’art et à l’acte de création. Saisissant.
L’argument : Un cinéaste reconnu travaille sur son prochain film, consacré à la monstruosité dans la peinture. Il est guidé dans ses recherches par une historienne d’art avec laquelle il entame des discussions étranges et passionnées.
- © Epicentre Films
Notre avis : La filmographie d’Antoine Barraud pourrait être considérée comme un oxymore cinématographique. En dix ans de carrière, ce talentueux réalisateur a cultivé son envie de faire du beau avec du laid. Ou plutôt de révéler ce qu’il y a de beau dans une chose a priori laide. Ainsi a-t-il construit une œuvre singulière et originale. Après Les Gouffres, son premier long-métrage de fiction, qui explorait les bas-fonds du vide, il conduit, avec Le Dos Rouge, une véritable psychanalyse des arts plastiques et du métier de cinéaste. Si un tel film peut apparaître comme très cérébral et réservé à un cercle d’initiés, sa théorie s’étend, en réalité, à l’humanité tout entière.
- © Epicentre Films
Le Dos Rouge suit le travail d’un réalisateur effectuant des recherches sur la monstruosité dans la peinture, thème qu’il souhaite explorer dans son prochain film. Le monstre, c’est d’abord une figure omniprésente dans le travail d’Antoine Barraud – on se souvient notamment de ses deux courts-métrages, Monstre, et Monstre numéro deux. Dans Le Dos Rouge, le monstre est l’allégorie du désir de création, puisque le personnage de Bertrand (Bertrand Bonello) n’est qu’à la phase préparatoire – préliminaire – de sa nouvelle œuvre. C’est une pulsion à laquelle le héros se soumet, n’ayant aucune idée concrète de ce qu’il veut filmer et raconter. C’est pourquoi sa productrice (Valérie Dréville) engage Célia Bhy (Jeanne Balibar), une historienne de l’art, pour l’emmener au musée et regarder des tableaux. C’est justement de ces tableaux que le film de Barraud tire toute son esthétique. Tantôt filmés de front, tantôt fragmentés, ils tentent toutefois de dissimuler au regard du spectateur la véritable nature de Bertrand. En effet, plus l’intrigue progresse, plus l’on assiste aux manifestations de ses complexes psychiques, et le film se mue, peu à peu, en véritable rêve freudien.
- © Epicentre Films
Il n’est pas nécessaire d’attendre le générique de fin pour comprendre que le film que prépare le protagoniste ne verra jamais le jour. Sans doute ce projet n’est-il qu’un désir insatisfait, à tel point que Bertrand tend à le refouler. Mais il est vite rattrapé par lui lorsque le récit bascule dans une dimension onirique absolument fascinante. Le désir vain et refoulé de la création artistique envahit peu à peu l’écran sous diverses formes : le personnage de Célia Bhy, joué à la fois par Jeanne Balibar et par Géraldine Pailhas, se dédouble pour laisser apparaître le conscient et l’inconscient de Bertrand, qui se rencontrent, se mêlent, se mordent l’un l’autre jusqu’à l’hystérie. Le héros se bestialise pour ne plus obéir qu’à des pulsions brutales, sauvages et même sexuelles – ce que Freud nomme le "ça". La scène de prises de vues, où Bertrand demande au jeune journaliste (Nicolas Maury) de poser sur un canapé en sous-vêtements féminins, est révélatrice d’une possible homosexualité refoulée par le protagoniste.
- © Epicentre Films
Enfin, il y a ce rouge qui se déverse progressivement dans le cadre, sur les décors et les personnages, comme pour achever de faire tomber Le Dos Rouge dans la névrose. Le rouge, c’est le sang, ici relatif au monstre, à l’inhumain, aux pulsions. Mais le rouge, c’est aussi l’amour, le cœur qui bat, et toujours le désir – corporel, celui-ci. Et force est de constater que c’est bel et bien l’amour qui donne une chute au film, bien que l’intrigue n’obéisse à aucune logique narrative. C’est l’amour sincère et passionné de Barbara (Joana Preiss) qui parvient à guérir Bertrand de sa pathologie psychique.
- © Epicentre Films
S’affranchissant des règles de narration classiques, dépourvu de tout didactisme et d’une beauté plastique digne du théâtre de Robert Wilson, Le Dos Rouge est une œuvre cinématographique avant-gardiste, où éclatent toute la personnalité et toute l’identité artistique d’Antoine Barraud, cinéaste remarquable dont on n’a pas fini d’entendre parler.
Galerie Photos
Le choix du rédacteur
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.