Le 6 juin 2020
Un témoignage solide du film français noir des années 50.
- Réalisateur : Gilles Grangier
- Acteurs : Danielle Darrieux, Jean Gabin, Paul Frankeur, Robert Manuel, Nadja Tiller
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Noir et blanc
- Nationalité : Français
- Distributeur : Pathé Distribution
- Durée : 1h33mn
- Date télé : 1er mars 2024 22:36
- Chaîne : Ciné+ Classic
- Date de sortie : 14 mai 1958
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Résumé : Au cours d’une enquête un inspecteur de police s’éprend d’une jeune droguée.
Critique : Lorsque Gilles Grangier tourne Le Désordre et la nuit, Truffaut a déjà publié son célèbre article Une certaine tendance du cinéma français et va réaliser Les 400 coups, contribuant à dévaloriser la « vieille garde », celle de cinéastes-artisans. Évidemment, le fait que Grangier emploie Gabin et Audiard et qu’il multiplie les seconds rôles « typiques » n’arrange pas son affaire ; et même si l’on assiste depuis quelques années à sa réhabilitation, sous l’influence de gens comme Corneau ou Tavernier, son image reste entachée d’une réputation assez médiocre.
Il est vrai qu’on regarde Le Désordre et la nuit avec plus d’attendrissement que d’admiration : si l’on y trouve tout ce qui fait la qualité du film noir à la française des années 50, on sent aussi que, faute d’ambition et de style, cette histoire sombre et attachante ne dépasse jamais la force de son scénario. Retour donc à l’idée d’un artisan, solide, maître de sa technique, au service de ses acteurs ; ce qui n’est déjà pas si mal.
- Copyright Pathé
Gabin y incarne un policier, Valois, qui, en enquêtant sur un meurtre, tombe amoureux d’une jeune prostituée droguée, « Lucky », plus ou moins mêlée au crime, et enfreint la loi pour la sauver (sensiblement le même point de départ que En cas de malheur, de Claude Autant-Lara, tourné dans la foulée). Certes, le meurtre est résolu, mais ce n’est pas ce qui intéresse prioritairement Grangier : ce qui le passionne, ici comme dans ses meilleurs films, c’est d’abord et avant tout l’observation d’un monde aujourd’hui disparu. En ce sens, Le Désordre et la nuit constitue pour nous un documentaire attendri sur les « clubs », le « milieu » ou le Paris de années 50, peuplé de gens que le cinéaste regarde avec empathie, à hauteur d’homme. Et c’est un festival, servi évidemment par les dialogues de Michel Audiard, d’une veine encore timide mais efficace. Si la « touche Audiard » est déjà là, dans quelques sentences drolatiques (« Privé d’exercice, le fonctionnaire s’étiole », ou « C’est avec les bonnes bourgeoises qu’on fait les meilleures grues »), les répliques sont surtout des moyens de caractériser les seconds rôles (voir par exemple le garçon de café joué par Jacques Marin) ou de donner une profondeur psychologique aux personnages. À cet égard la dernière scène, les aveux de la pharmacienne, est autant une performance de Danielle Darrieux qu’une leçon de vie sur la passion et l’amour. Grangier sait diriger ses acteurs, si caractéristiques de leur époque : de Paul Frankeur à Denis Manuel, de François Chaumette à Louis Ducreux, magnifique en mari « parfait » et que Tavernier utilisera des années plus tard dans Un dimanche à la campagne, tous sont impeccables et denses.
Comparer Le Désordre et la nuit aux grands films noirs américains est évidemment cruel : il manque de noirceur, n’est pas assez poisseux, pas assez élégant dans sa mise en scène. Mais le point de vue qu’il porte, mélange de cynisme et de tendresse, lui confère un charme indéniable et Gabin, qui est admirable, sans rien du cabotin qu’il deviendra par la suite, sert de révélateur au milieu interlope qu’il traverse autant qu’aux « petites gens » qu’il croise. On sent que Grangier a mis tout son solide métier (cadrages impeccables, travellings fluides, lisibilité constante) à créer une atmosphère, celle d’un Paris nocturne dévoyé. Filmant en studio, il a soigné les éclairages, comme en témoigne la promenade de Valois et Lucky sous la pluie. D’autres séquences très belles (l’introduction dans le club, Danielle Darrieux vue de l’extérieur par Gabin en caméra quasi subjective, par exemple) et quelques idées subtiles (le jeu des regards, les miroirs multiples) contribuent à faire de ce film classique un prototype réussi de ce que le cinéma populaire français des années 50 produisait avant la déferlante de la Nouvelle Vague.
Les suppléments :
En plus de la bande-annonce, le Blu-ray propose une courte présentation du film par Bertrand Tavernier au festival Lumière de Lyon (4 minutes) et surtout un documentaire chaleureux consacré à Gilles Grangier, La Perle du film noir, dans lequel de multiples intervenants dressent le portrait d’un homme modeste, humain et authentique (24 minutes). De trop courts extraits d’interviews donnent la parole à Grangier lui-même et à Audiard.
L’image :
Belle copie que la remasterisation a débarrassée de tout défaut, malgré un léger grain perceptible sur les fonds clairs. En revanche toutes les séquences nocturnes sont admirables de profondeur.
Le son :
La piste mono DTS-HD Master audio respecte le matériau d’origine en lui ôtant souffle et scories.
Copyright Pathé Vidéo
– Sortie Blu-ray : le 1er juillet 2015
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