A la vie ! A la mort !
Le 21 juin 2005
Linda Lê évoque les auteurs qui l’ont marquée. Un prétexte pour mieux parler de soi et transmettre une confession poignante.



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Bien sûr, il y a l’érudition, les citations, les analyses brillantes mais, au-delà de l’inventaire de coups de cœur littéraires, il y a surtout une vie qui se dessine. Linda Lê est née au Vietnam, dans les années soixante. Après les horreurs de la guerre, elle a connu l’exil, après l’exil, la mort du père, après la mort du père, la culpabilité et la dépression. Des drames au milieu desquels le roman devient viatique. En dehors d’un très bel exercice de style et même si tout n’est pas dit clairement, son âme devient, volontairement ou pas, le véritable sujet de cette œuvre. Comme tout bon disciple de Cioran qui se respecte, une langue connue mais étrangère qu’il faut "habiter", une autre dont on doit faire le deuil, l’impression de trahir ses origines, son père et ses idéaux, l’enjeu est personnel jusque dans la définition de l’imagination. "L’imagination est une meute hurlante qui se repaît du cadavre de mes ennemis mais aussi de mes chers disparus."
C’est pour cette raison, sans doute, que le moi est omniprésent dans ces pages, donnant une dimension psychologique à une passion pour les livres et pour l’écriture. Le seul bémol de cette confession. Mais quand on entretient un rapport tragique avec l’encre et le papier, comment peut-il en être autrement ? Linda Lê donne en effet l’impression de revêtir les habits d’une héroïne qui a choisi les livres comme on choisit de respecter, coûte que coûte, les lois non écrites. Pas étonnant dès lors qu’un chapitre soit consacré à Antigone ou qu’Artaud, un autre écorché de la vie, soit souvent cité aux moments-clés. Certes, on aurait voulu plus de joies, plus de rires mais ces aspects-là ne peuvent être que de trop pour un auteur "qui rêve d’écrire, comme Kafka, l’histoire mondiale de son âme". Une âme meurtrie.
Linda Lê, Le complexe de Caliban, éd. Christian Bourgois, 2005, 178 pages, 15 €