Le 16 mars 2016
- Réalisateur : Frédéric Pelle
- Acteur : Adélaïde Leroux
Interview du réalisateur du Chant du Merle et de son interprète Adélaïde Leroux. Une oeuvre d’une grande frâicheur cinématographique qui nous a touchés.
Le cinéma aime à se maquiller comme une voiture volée de tapis rouge, de smokings et de robes à paillettes aux coûts astronomiques, et de célébrités adulées. Mais au milieu de cette foule, où baignent médias en tout genre, certains artistes ont su conserver une humilité et une simplicité qui reste malheureusement dans l’ombre du grand show business. C’est le cas du réalisateur Frédéric Pelle et de l’actrice Adélaïde Leroux, que nous avons rencontrés à l’occasion de la sortie du film Le Chant du merle, à paraître sur nos écrans le 16 mars 2016.
aVoir-aLire : Frédéric, avez plus de vingt ans de cinéma derrière vous. Vous avez réalisé plusieurs documentaires et courts-métrages, mais Le Chant du merle n’est que votre deuxième long-métrage de fiction après La Tête ailleurs (2010). La réalisation d’un film relève-t-elle donc chez vous d’un long processus ?
Frédéric Pelle : Effectivement, les chiffres parlent d’eux-mêmes. J’ai réalisé mon premier court-métrage au début des années 90. Cela avait été tellement difficile – le résultat n’était pas vraiment à la hauteur de mes espérances – que j’ai attendu dix ans avant d’en faire un deuxième. Entre temps, j’ai fait des documentaires. Puis, en 2000, j’ai réalisé un autre court-métrage, Des Morceaux de ma femme, qui a eu une belle carrière et a provoqué chez moi une vraie soif de réalisation, à tel point que j’ai enchaîné au rythme d’un court-métrage par an. Mais au moment de réaliser mon premier long-métrage, j’ai eu le sentiment de repartir à zéro. Je maîtrisais bien la production et la réalisation des courts-métrages, mais pour La Tête ailleurs, les interlocuteurs n’étaient plus les mêmes, et la réunion de financements a demandé beaucoup de temps. Il s’est passé quatre ans entre la sortie de La Tête ailleurs et le tournage du Chant du merle, mais c’est mon rythme ; j’ai besoin de digérer un film après sa sortie avant de commencer un nouveau projet. Pour Le Chant du merle, l’écriture du scénario a été lente. Avec Orlanda Laforêt, ma compagne, nous avons commencé à écrire alors que La Tête ailleurs venait de sortir. Il s’est donc écoulé presque quatre ans entre les premières idées, la recherche de financements, qui n’a pas été simple, et le tournage. Cela peut surprendre quand on voit cette petite histoire qu’est Le Chant du merle, mais nous nous inscrivons effectivement dans un esprit de travail artisanal qui prend du temps.
Le Chant du merle raconte l’histoire d’Aurélie, une jeune femme timide et discrète, qui tombe amoureuse de François, un homme très indépendant et mystérieux. Comment vous êtes-vous décidé pour ce sujet ?
F.P. : Tout a commencé dans l’hôtel où nous avons tourné. Nous avons rencontré une serveuse qui avait des traits de caractère proches de ceux du personnage d’Aurélie, très discrète et assez touchante dans sa discrétion. Elle avait rencontré un type qui lui tournait la tête, et a fini par disparaître. Ma compagne et moi avons demandé ce qui s’était passé, et on nous a expliqué que cette jeune femme avait fait une mauvaise rencontre. C’est là qu’Orlanda et moi nous sommes dits que la matière humaine de ce sujet était intéressante. A partir de là, nous avons commencé à écrire.
Adélaïde, comment êtes-vous arrivée sur le projet ?
Adélaïde Leroux : Je connaissais déjà le producteur du film, René Féret. Frédéric lui a dit qu’il pensait à moi. René m’a appelée pour me parler du scénario, sans trop m’en dire. Quelques jours plus tard, Frédéric et moi nous sommes rencontrés dans un café. Il m’a donné le scénario, et j’ai aimé l’idée de défendre le personnage d’Aurélie, qui est une jeune femme fragile, naïve et touchante. C’est quelque chose que l’on voit très peu au cinéma, on voit plutôt des portraits de personnages à fort caractère. J’appréciais l’idée de défendre un personnage que l’on ne voit pas ou que l’on peut ne pas voir, car dans la vie, ce genre de personne me touche.
Interpréter un personnage pudique et discret comme Aurélie est un exercice difficile. Comment l’avez-vous appréhendé ?
A.L. : J’avais très peur d’en faire trop. Il fallait vraiment être dans un entre-deux. Il ne fallait pas qu’Aurélie soit trop petite, mais il ne fallait pas non plus qu’elle soit trop grande. Sur le plateau, avec Frédéric et Orlanda, nous travaillions sans cesse à un jeu tout en retenue.
- © Bianca Films
Les images du film sont à la fois très simples et très complexes, car d’une grande maîtrise technique. Comment ont-elles été construites ?
F.P. : Je fais des repérages très soignés. J’y accorde beaucoup de temps pour bien m’imprégner des décors. Quand j’arrive sur le plateau, j’ai une idée de découpage, mais je me laisse toujours la possibilité de changer d’avis. J’ai peur de l’excès de formalisme. Je ne filme pas la même scène avec une multitude de points de vue en me disant que je verrai ce qui se passera au moment du montage. J’ai un parti pris dès le tournage. J’essaye de mettre en valeur les comédiens, de faire en sorte qu’ils puissent évoluer dans le cadre. J’ai la trouille des plans trop beaux ou trop décoratifs. Le Chant du merle raconte une histoire sur des relations humaines, et il fallait retenir l’attention des spectateurs pour qu’ils puissent observer des petites choses, être attentifs à ce qui se dit ou à ce qui ne se dit pas. Le personnage d’Aurélie est assez silencieux, il y a donc une économie de dialogue, et il ne fallait pas que les plans soient trop écrasant par rapport aux personnages, car ce sont eux que je privilégie au sein de l’image.
Vous dites qu’au cinéma, c’est la technique qui est au service de l’acteur et non pas l’inverse. Qu’entendez-vous par-là ?
F.P. : Un film très bien fait techniquement avec un personnage qui ne m’intéresse pas ne me touche pas. Je peux être impressionné par la virtuosité technique d’un film, mais ce n’est pas mon truc. Ce qui m’intéresse, c’est la matière humaine. Cela signifie qu’il faut d’abord privilégier les personnages pour qu’ils puissent exister. Et pour qu’ils puissent exister, il faut que les comédiens soient dans un environnement qui leur permette de donner vie aux personnages avec le plus de liberté possible, c’est-à-dire un environnement technique au service du jeu.
A.L. : En tant que comédien, c’est assez frustrant de sentir que la technique peut être un barrage. Si chaque poste est important pour faire un film, lorsque la technique prime, on se sent en manque de liberté. C’est un peu dommage.
Y a-t-il un peu d’Aurélie en vous ?
A.L. : Oh, oui, bien sûr. Je peux être très timide quand je suis dans un lieu où je ne connais pas les gens. J’ai travaillé là-dessus. La préparation d’un rôle demande beaucoup de lecture, de visionnage de films, mais il y a toujours une partie qui nous appartient ; on travaille aussi avec ce qu’on est, ce qu’on vit, les personnes qui nous entourent, ce qu’on voit dans la rue. Il y a de moi en Aurélie, c’est certain.
Les personnages du film sont tous très proches les uns des autres. Comment s’est passé le travail avec les autres acteurs ?
A.L : Il y a beaucoup d’acteurs non-professionnels – je n’aime pas ce mot, même si ce n’est pas leur métier, dès lors qu’ils sont sur le plateau, ils sont de vrais acteurs. Par exemple, Pierre Bouysset, qui joue le vieil homme dont Aurélie s’occupe, et moi nous sommes rencontrés quelques jours avant le tournage. Nous avons pu passer du temps ensemble et nous avons appris à nous connaître. L’équipe se sentait réellement invitée par les habitants du village où nous tournions, ce qui a créé une relation amicale assez forte. Le film parle aussi de cela, de ces provinciaux très sympathique. Certains films laissent à penser que tout ce qui se passe en Province est un peu perdu, que les gens ne connaissent rien à rien. D’une certaine manière, Le Chant du merle leur rend hommage. Myriam Boyer et Nicolas Abraham sont des comédiens professionnels, mais ils gardent cette simplicité qui colle très bien au projet. Je pense que nous avions tous conscience, professionnels comme non-professionnels, que nous étions tous là, ensemble et au même niveau, pour mener ce projet à bien.
F.P. : Il faut trouver un équilibre entre tous les comédiens ; c’est pour moi la partie fondamentale d’un film. Même si l’on a une idée des personnages, auxquels on peut avoir réfléchi pendant des mois ou des années pendant l’écriture, à l’arrivée, ce sont les comédiens qui leur donnent leur existence. Créer une osmose entre ceux qui ont l’habitude d’interpréter des rôles et ceux dont ce n’est pas le métier est donc très important, car il ne faut pas que le spectateur se dise, au moment où il voit le film : celui-là est un vrai comédien, celui-là non. Pour cela, il faut trouver des comédiens qui acceptent d’être à égalité avec des gens qui n’ont jamais joué de leur vie, et inversement, il faut trouver des gens n’ayant jamais joué qui ne soient pas impressionnés de travailler avec des acteurs professionnels. Le mot d’ordre est donc la simplicité. Et tous les gens qui jouent dans le film ont cette simplicité. Nous ne voulions pas simplement raconter cette histoire avec des comédiens professionnels, mais aussi avec des gens qui, par leur personnalité, apporteraient leur pierre à l’édifice. Le Chant du merle raconte les relations humaines, et une fois que la caméra est allumée pour tourner une scène, il n’y a plus de différence entre les uns et les autres.
- © Bianca Films
Justement, cette simplicité, dont vous parlez tant, donne à votre film une grande puissance émotionnelle.
F.P. : Oui. Le fil de l’histoire est très ténu, ce qui permet de faire passer des émotions et des sentiments humains. Ces sentiments sont universels quels que soient les personnages. C’est universel, tout le monde aspire à éprouver des sentiments. Ce qui m’intéressait, c’était de filmer des personnages qu’on ne remarque pas au premier coup d’œil et de les rendre intéressant en leur accordant un intérêt particulier.
A votre avis, le personnage de François est-il un homme bon ou mauvais ?
A.L. : Je ne pense pas que l’on puisse dire que c’est un homme bon ou mauvais. C’est plus complexe que ça. Aurélie n’a pas eu beaucoup d’histoire avant celle qu’elle vit avec François. Lui arrive, fait miroiter des choses et sent qu’elle n’a pas eu beaucoup d’hommes dans sa vie, que c’est facile de lui faire avaler tout et n’importe quoi. Mais Aurélie finit par comprendre que quelque chose ne va pas, et elle est inquiète, mais elle a envie d’y croire et de rester dans ses rêves. Elle sait que ça ne va pas bien se passer, mais elle se voile la face, d’autant qu’on peut penser que François est peut-être le premier homme qui la fait vraiment rêver. Lui aussi a sa part d’ombre, mais rêve sans doute à une vie meilleure. Il aime Aurélie parce qu’elle lui renvoie une image de lui qui lui plait vraiment, et c’est pour cela que ce n’est pas un salaud. S’il n’était qu’un Don Juan, le film serait moins intéressant. Je pense qu’il y croit autant qu’Aurélie, et qu’il a vraiment des sentiments pour elle.
F.P. : François profite pleinement des moments passés avec Aurélie, mais au fond de lui, il est un peu pathétique. On se rend compte qu’il n’est pas glorieux, il renvoie l’image d’un homme lâche et faible. Il pourrait être un peu plus honnête, il ne l’est pas.
A.L. : C’est doublement pathétique, car non seulement il passe à côté d’Aurélie, mais il passe aussi à côté de tout : de sa vie, de sa femme, de son métier. C’est un personnage qui choisit sans cesse la facilité et qui fait de la peine.
Que retenez-vous de ce tournage ?
A.L. : Je retiens d’abord cette forte humanité qui se dégage de Frédéric et d’Orlanda, qui était aussi avec nous parfois, et aussi de ces gens qui nous ont aidés à faire le film en y participant soit devant la caméra soit autrement. Ce film a été fait avec les moyens du bord par une équipe petite mais très humaine. C’est vraiment agréable de travailler comme ça.
Y aura-t-il d’autres films après Le Chant du merle ?
F.P. : Je ne sais pas. J’espère. Tant que ce film ne sera pas sorti et digéré, j’aurai beaucoup de mal à me projeter.
Propos recueillis à Paris, le 3 mars 2016.
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