Phares du Nord - Salon du livre 2003
Le 12 mars 2003
De la malédiction d’être né flamand et comment la transcender par l’écriture. Avec son petit pays pour unique horizon, le colosse des lettres belges a bâti une oeuvre universelle, bouillonnante de rage, d’ironie et de poésie.

- Auteur : Hugo Claus
- Editeur : Editions du Seuil
- Genre : Nouvelles

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Tout Claus tient en quelques pages dans Le dernier lit et autres récits,
récemment paru en traduction française : la noirceur des situations, le virage mal négocié de l’oedipe, la haine de la religion, le regard peu amène sur ses compatriotes, contrebalancés par un imaginaire qui s’en va au galop. Trois nouvelles pour balayer le spectre d’une inspiration multiforme, dominée par la présence de la Flandre, son pays dont la terre colle à sa plume. Qu’il a tenté de fuir mais qui toujours est revenu le chercher. Et avec lequel il entretient depuis soixante-quatorze ans une relation d’amour-répulsion.
Né à Bruges, le mastodonte des lettres flamandes ne fait pas dans la dentelle. Disons plutôt qu’il plante rageusement ses fuseaux dans la pâte grasse des faux-fuyants. Mesquinerie, poltronnerie et hypocrisie brodent ses variations pleines de sensualité, de colère et de dérision. Rien ne l’agace plus que l’antagonisme entre Belges flamingants et francophones. Il se dit d’ailleurs le plus français des écrivains flamands. Boutade caractéristique de ce roi de l’ironie grinçante, fêté contre toute attente par ses compatriotes depuis la sortie, voici une vingtaine d’année, du Chagrin des Belges, son chef-d’oeuvre.
Ce volumineux roman de formation, savoureux et tentaculaire, se déroule dans la Belgique de la dernière guerre. Une Belgique fétide, portraiturée à travers les membres de la famille du jeune Louis Seynaeve, alter ego assez transparent de l’auteur. Pas de doute, Claus sait mettre le doigt là où ça fait mal et fouiller dans les plaies purulentes du marché noir, de la collaboration et de la délation, ce quotidien de nombreux Flamands qui avaient enfourché le mauvais cheval, celui de l’occupant. Toutes choses qui occasionneront leur "chagrin" - et nullement leur repentir - une fois la guerre terminée, donc perdue pour eux. Thème osé, donc, servi par une écriture ancrée dans la spécificité bilingue du pays [1]. Abordant le problème de face, mettant son propre chagrin sur le papier avec fureur et poésie, Claus est allé à l’universel en gardant le bout de sa lorgnette vissé sur son minuscule pays. En cela, il appartient aux tout grands écrivains d’aujourd’hui. Ceux dont on chuchote qu’ils sont nobélisables.
HUGO CLAUS |
Le dernier lit et autres récits, Seuil, coll. "Cadre vert", 2003, 192 pages, 19 euros
Le chagrin des Belges (Het verdriet van België), Points/Seuil, 864 pages, 11 euros
Photo Hugo Claus©John Foley
[1] Magnifiquement transposée en français par son traducteur, Alain van Crugten