Tu seras une mère, ma fille
Le 16 décembre 2020
Lauréat du prix Un Certain Regard au Festival de Cannes 2019, ce mélo tropical évoque la vie des femmes durant les années 50, à travers le portrait de deux sœurs séparées par la vie. Un très grand film, indispensable dans le contexte brésilien actuel.
- Réalisateur : Karim Aïnouz
- Acteurs : Fernanda Montenegro, Julia Stockler, Carol Duarte
- Genre : Drame, Romance
- Nationalité : Allemand, Brésilien
- Distributeur : ARP Sélection
- Durée : 2h19mn
- Date télé : 16 décembre 2020 20:40
- Chaîne : OCS City
- Titre original : A Vida Invisível de Eurídice Gusmão
- Date de sortie : 11 décembre 2019
- Festival : Festival de Cannes 2019
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Résumé : Rio de Janeiro, 1950. Euridice, dix-huit ans, et Guida, vingt ans, sont deux sœurs inséparables. Elles vivent chez leurs parents et rêvent, l’une d’une carrière de pianiste, l’autre du grand amour. A cause de leur père, les deux sœurs vont devoir construire leurs vies l’une sans l’autre. Séparées, elles prendront en main leur destin, sans jamais renoncer à se retrouver.
Critique : En Espagne, les femmes ont Pedro Almodóvar, un réalisateur qui a montré, à de multiples reprises, qu’il était prêt à se servir de son art pour les représenter. Au Brésil, c’est sur le cinéaste Karim Aïnouz qu’elles peuvent compter. En débutant sa carrière par un documentaire qui évoquait la vie de sa grand-mère et de ses quatre sœurs, l’artiste brésilien a souhaité dénoncer la société misogyne dans laquelle il a grandi, lui qui est le fils d’une mère célibataire, sans cesse montrée du doigt dans le nord-est du Brésil conservateur des années 60. Dégoûté dès son enfance par une culture misogyne, aujourd’hui ouvertement hostile au président sexiste Jair Bolsonaro, notamment parce qu’à la suite de son élection, toutes les activités de l’Agence nationale du cinéma (ANCINE), organisme crée en 2001 dans le but de promouvoir la culture nationale brésilienne, par le biais du cinéma, ont été interrompues, Karim Aïnouz profite de ses films pour dénoncer le patriarcat et la manière dont les télénovelas le banalisent.
Récompensé par le prix Un Certain Regard au Festival de Cannes 2019, Karim Aïnouz a profité du succès de son mélodrame pour évoquer la crise que traverse l’industrie cinématographique brésilienne, à l’heure où le contexte politique est clairement hostile à son développement, contrastant ainsi avec des années de politiques publiques culturelles qui ont permis au Brésil de se distinguer dans tous les arts.
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Inspiré du roman éponyme de Martha Batalha paru en 2015, La Vie Invisible d’Eurídice Gusmão est ainsi une critique sociale des années 50, qui cherche à rendre visibles les vies invisibles de cette époque, surtout celles des femmes. En suivant le parcours de deux sœurs séparées par la vie et qui vont suivre des voies différentes, le réalisateur se fait la voix des mères célibataires, mais également des femmes coincées dans un mariage, qui les prive de la liberté de s’épanouir autrement qu’en tant qu’épouses et mères. Sans jamais poser ses héroïnes comme des victimes, le réalisateur semble au contraire s’effacer, laissant sa caméra suivre deux actrices généreuses et habitées, qui défendent les personnages qu’elles incarnent avec passion.
Le long-métrage suit donc deux sœurs inséparables et éprises de liberté : l’aînée, Guida, rêve du grand amour et va se perdre dans les bras d’un marin – l’occasion d’incarner Rio de Janeiro, cité balnéaire, comme le témoin de son drame. Devenue mère célibataire, elle devra se battre contre une société qui la juge, luttant avec acharnement face à des situations ubuesques, entre ceux qui ne veulent pas travailler au côté d’une femme sans mari et l’administration, qui donne toute la place au père malgré son absence.
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La cadette, Eurídice, rêve de devenir pianiste, mais doit sans cesse défendre sa vocation, face à un père qui souhaite avant tout la marier. Devenue épouse sans le vouloir, mère sans le désirer davantage, elle n’aura de cesse de lutter contre tous les hommes de son entourage, qui veulent faire d’elle une femme au foyer, traitant son piano bien-aimé comme un amant encombrant, dont il faut impérativement se débarrasser – tout comme le fantôme de sa sœur, cette femme indépendante qui risquerait de lui donner des envies d’émancipation.
L’actrice Carol Duarte, qui a fait ses armes au théâtre, livre une performance stupéfiante, dévoilant un travail très intéressant sur son corps, en montrant notamment comment les grossesses successives semblent écraser son personnage.
C’est toute la force de ce film, qui dépeint l’intimité sans rien édulcorer, mais au contraire en montrant crûment la réalité, aussi bien de la vie des femmes que des couples. Rarement le cinéma aura été aussi tactile, entre la moiteur des corps, le mascara qui coule, la nudité vue d’en face… Le réalisateur pose clairement des questions que personne ne semble s’être posées sur le quotidien des femmes durant les années 50 : comment une jeune fille vivait-elle sa nuit de noces ? Pouvait-elle connaître une sexualité épanouie avant l’arrivée des méthodes contraceptives ?
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Grâce à ce film puissant, féministe et engagé, Karim Aïnouz propose un cinéma comme on l’aime, grâce à une histoire d’amour filiale contrariée entre deux sœurs, que leur père va tenir éloignées, gardant ainsi la mainmise sur leurs destins.
Le fond est palpitant, grâce à un scénario passionnant, aux multiples rebondissements ; mais la forme vaut également le coup d’œil et justifie la récompense cannoise. La photographie, volontairement granuleuse, rend palpable l’humidité et l’atmosphère tropicale du Brésil. La mise en scène cherche à transposer cette histoire n’importe où, tout en révélant les magnifiques couleurs des paysages brésiliens. Et avec une bande originale qui s’appuie sur les plus grands classiques du fado, chantés par Amália Rodrigues, difficile de ne pas être totalement dépaysés.
Si le cinéma brésilien est capable de présenter des films de cette envergure, il ne reste plus qu’à souhaiter que la culture redevienne un enjeu pour la classe politique d’un pays dont le septième art semble cacher des trésors. Au public international, désormais, d’exiger de les découvrir.
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Le film est sorti en VOD le 14 mai 2020, un an après avoir reçu le Prix Un Certain Regard à Cannes.
Il est disponible sur les plateformes suivantes : Orange, Canal VOD, iTunes, Universciné, FilmoTV, Google et VidéoFutur.
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