Le 21 novembre 2023
La complainte du sentier (Pather Panchali) est un chef-d’œuvre intimiste et bouleversant. Premier volet de La trilogie d’Apu de Satyajit Ray, avant L’invaincu (Aparajito) et Le monde d’Apu (Apu Sansar).
- Réalisateur : Satyajit Ray
- Acteurs : Kanu Bannerjee, Karuna Bannerjee, Subir Banerjee, Chunibala Devi, Runki Banerjee
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Indien
- Distributeur : Les Acacias, Carlotta Films, Films sans Frontières, Argos Films
- Durée : 2h00mn
- Date télé : 6 mai 2024 20:50
- Chaîne : Ciné+ Classic
- Reprise: 6 décembre 2023
- Titre original : Pather Panchali
- Date de sortie : 16 mars 1960
- Festival : Festival de Cannes 1956
L'a vu
Veut le voir
– Année de production : 1955
– Sortie en version restaurée : 6 décembre 2023
Résumé : Dans un petit village du Bengale, vers 1910, Apu, un garçon de sept ans, vit pauvrement avec sa famille dans la maison ancestrale. Son père, se réfugiant dans ses ambitions littéraires, laisse sa famille s’enfoncer dans la misère. Apu va alors découvrir le monde, avec ses deuils et ses fêtes, ses joies et ses drames.
Critique : À Cannes, ce premier film d’un cinéaste inconnu ne fut projeté qu’à une heure tardive. Mais dans la salle, André Bazin s’en indigna, demanda et obtint une meilleure visibilité. De là date la découverte de Satyajit Ray en Occident, dont les œuvres furent saluées par une critique conquise. La complainte du sentier, tourné avec très peu de moyens sur le modèle du néo-réalisme et adapté d’un classique indien, est le premier long métrage de La Trilogie d’Apu, qui voit évoluer un personnage attachant de l’enfance à l’âge mûr. Suivront L’ invaincu en 1956 et Le monde d’Apu en 1959.
- © Les Acacias
On comprend à revoir cette Complainte l’enthousiasme de Bazin, lui qui réfléchissait sur le réalisme : à mille lieues du faste de Bollywood - et contre ce faste clinquant -, Ray observe à hauteur d’homme le destin dramatique d’une famille pauvre, dans un petit village du Bengale. Entre soucis financiers et querelles de voisinage, les parents, les deux enfants et la « tatie » ont une vie difficile que la mère porte sur ses épaules. La première partie du film s’attache à décrire cette existence modeste et dure : sous les grands yeux d’Apu, spectateur quasiment muet, le quotidien se déroule en gestes ritualisés. Des caractères se dessinent : le père, optimiste badin, s’oppose à la rigueur de la mère, qui veut chasser la vieille édentée au dos cassé, affronte les voisines et les vols de sa fille. Pas de manichéisme ici, la mère souffre davantage qu’elle ne fait souffrir ; voir la belle séquence dans laquelle elle chasse sa fille : la caméra filme à la fois la fille qui s’éloigne et la mère qui s’effondre. Pas non plus de voyeurisme, ni de mièvrerie. Sans doute parce que Ray s’attache aux détails, qui mettent l’émotion à distance pendant cette première partie, mais aussi parce qu’il trouve une vision singulière qui mêle simplicité évidente et composition presque formaliste : les plans sont magnifiques, les cadrages impeccables (celui dans lequel la « tatie » recoud son châle évoque un tableau de de La Tour ; un autre, le reflet du marchand de bonbons, fait penser à Vampyr de Dreyer), mais ils alternent avec des visages nus. De cette alliance naît un style très pur, que l’on pourrait appeler « réalisme poétique » si l’expression n’était pas prise par ailleurs. En procédant par petites touches, en plans souvent fixes, avec un rythme lent, Ray crée une atmosphère douce et fascinante.
- © Les Acacias
La seconde partie est celle du drame : les deux morts, montrées avec infiniment de pudeur et réserve, changent la tonalité et opèrent la mutation d’Apu qui, de suiveur, observateur muet, devient celui qui prend en charge le passé de sa sœur. Mais c’est aussi le moment le plus panthéiste : la caméra observe le monde dans ses détails (une libellule, des gouttes de pluie sur l’eau) qui forment un tout harmonieux, mêlant l’humain, l’animal, le minéral et le végétal dans une même contemplation. La beauté se confond avec une philosophie religieuse, mais sans ostentation.
On pourrait longuement encore détailler notre admiration et relever les échos qui structurent le scénario (par exemple l’ouverture de la couverture qui devient ouverture dans le mur, la « tatie » chassée deux fois) ; la manière dont le village est montré, privilégiant les horizons bouchés ; la construction de certains plans, rigoureux et d’une évidente beauté ; les quelques échappées (la scène du train, magnifique) ; ou l’utilisation de la musique (ce cri de douleur qui devient plainte instrumentale !) mais il suffira de dire que La complainte du sentier est un grand film sensible et, n’ayons pas peur des mots, un chef-d’œuvre intemporel.
Galerie photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.