Le 24 octobre 2018
Derrière les dehors dépouillés et austères du Kazakhstan, le film d’Adilkhan Yerzhanov est un hommage universel et intemporel à la création artistique et à la culture française.
- Réalisateur : Adilkhan Yerzhanov
- Acteurs : Dinara Baktybayeva , Kuandyk Dussenbaev
- Genre : Drame social
- Nationalité : Français, Kazakh
- Distributeur : Arizona Distribution
- Durée : 1h39mn
- Titre original : Laskovoe Bezrazlichie Mira
- Date de sortie : 24 octobre 2018
- Festival : Festival de Cannes 2018
Résumé : La belle Saltanat et son chevalier servant Kuandyk sont amis depuis l’enfance. Criblée de dettes, la famille de Saltanat l’envoie dans la grande ville où elle est promise à un riche mariage. Escortée par Kuandyk qui veille sur elle, Saltanat quitte son village pour l’inconnu. Les deux jeunes gens se trouvent entraînés malgré eux dans une suite d’événements cruels et tentent d’y résister de toutes les façons possibles.
Notre avis Une fleur blanche en premier plan, à la fois fragile et solidement attachée au sol, ouvre le film. Et soudain, le sang coule lentement sur les pétales éclatants de soleil. Ce sang qui entache l’immaculé de la fleur, c’est celui de lutteurs qui se battent pour gagner trois sous et améliorer leur quotidien. Car ici, nous sommes au cœur des immenses terres du Kazakhstan, à mi-chemin entre les cultures nomades, asiatiques et slaves. La vie est rude. L’argent manque, et même lorsqu’on a un travail, on peine à manger à sa faim et à se loger. C’est un pays où les dettes des familles conduisent immanquablement à la prison car elles sont trop souvent liées à des petits mafieux qui règnent en dominateurs dans les villages et sèment la terreur, en parfaite collusion avec la police locale.
- 2018 © Short Brothers & Arizona Productions - Tous droits réservés
Voilà à peu près les raisons qui conduisent la belle Saltanat et son ange gardien Kuandyk, d’une formidable dévotion, à quitter leur village. Saltanat doit accepter de se marier avec un vieil ami de son oncle, qui lui promet la libération de sa mère et l’épurement des dettes familiales. Elle porte une robe rouge et une ombrelle charmante qui la font ressembler à une héroïne de Maupassant, à la fois acculée par un déterminisme social dont elle peine à s’échapper et déterminée à devenir médecin et à vivre sa vie de femme. Kuandyk veille sur elle. C’est un homme attachant, libre, courageux, magnifiquement naïf. C’est surtout un homme qui a compris que la seule façon de survivre à son destin, c’est de le réinventer en le peignant ou en le dessinant.
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La tendre indifférence du monde aurait pu se cantonner à une critique sociale et politique d’un pays rongé par la corruption et la pauvreté, telle qu’on l’a souvent vue dans le cinéma des ex-pays soviétiques. En réalité, Adilkhan Yerzhanov fait un film sur la création artistique, et particulièrement picturale. Le réalisateur propose une mise en scène soignée, précise, dans laquelle ses comédiens s’intègrent avec douceur et naturel. Il se plaît notamment à insérer dans son film des dessins, des peintures naïves, des croquis sur les murs, comme pour donner à son récit des sursauts esthétiques qui apportent au réel austère du Kazakhstan, une dimension quasi spirituelle. La vraie vie est ailleurs, dirait Rimbaud. La vraie vie est d’abord dans les têtes et dans les yeux qui la regardent. Ainsi, le réalisateur met en scène ses personnages dans des endroits volontairement clos, comme des embrasures de portes, des encadrements de fenêtres ou de miroirs, à la façon de tableaux de peinture où l’artiste chercherait à dépeindre le monde mais aussi surtout à le transcender dans une autre réalité, forcément plus heureuse. Si la représentation du Kazakhstan cède à une profonde mélancolie, le cinéaste se surprend à ponctuer son récit de véritables éclats de rires. A ces moments, le film se pare d’une théâtralité joyeuse et optimiste.
- 2018 © Short Brothers & Arizona Productions - Tous droits réservés
Tout le film se transforme en un magnifique hommage à la création artistique. On est surpris de voir les références à la littérature ou au cinéma français aussi nombreuses. Il est difficile de résister à répéter ce titre énigmatique et beau La tendre indifférence du monde que Saltanat et Kuandyk ont arraché au fameux roman de Camus L’Étranger. Les personnages, même les plus abrupts d’entre eux, connaissent Belmondo ou une certaine littérature française. C’est ce qui donne à l’apparent dénuement des espaces et des lieux, le sentiment que Yerzhanov ne fait pas un film sur son pays, mais un chant d’amour tout entier offert à l’universalité de la poésie.
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FafanLeFanu 24 octobre 2018
La tendre indifférence du monde - la critique du film
J’ai découvert ce réalisateur grâce à l’Etrange Festival, qui lui a consacré une rétrospective cette année. Je n’ai réussi à voir que son Night God, dont les tableaux sublimes m’ont séduits, mais au final je suis passé un peu à côté de ce film plutôt satirique et abstrait.
Je devrais sans doute être plus ému par ce film-ci.